Télérama consacre son dernier numéro de l’année 2010 au « siècle des villes ». Dans ce riche dossier, nous retiendrons tout particulièrement l’interview d’Olivier Mongin, le directeur de la Revue Esprit, et son éclairage sur la privatisation des villes. Morceaux choisis.
- Télérama : La France, pourtant en proie à l’étalement péri-urbain, en reste à cette vision traditionnelle du centre et de la périphérie…
- Olivier Mongin : Cela vient de notre culture politique. Toute notre vision est centralisée. Rappelons la distinction de Fernand Braudel : l’Italie, focalisée sur la ville, est en manque d’Etat. La France, focalisée sur l’Etat, est en manque de ville. L’urbain n’y a jamais été que le prolongement de l’Etat. Cela s’est vu avec la construction des grands ensembles, puis avec la « politique de la ville » en direction des banlieues, et plus récemment avec le projet du Grand Paris.
- Télérama : Mais comment faire, concrètement, alors que les zones commerciales, les autoroutes, les lotissements grignotent l’espace public ?
- Olivier Mongin : Effectivement, en France, on pense que l’espace public est là, qu’on n’a pas en prendre soin. Or, la privatisation des espaces publics a lieu partout dans le monde ! A contrario, je reviens de Colombie, où se développe une vraie culture de l’espace public, parce que justement, n’existait jusqu’alors que l’espace privé.
- Télérama : Comment expliquez-vous que la vision étatique en France n’empêche pas l’œuvre du libéralisme, c’est-à-dire la privatisation de l’espace ?
- Olivier Mongin : Mais le néolibéralisme, contrairement à ce qu’on croit, n’est pas le tout marché, c’est l’Etat qui se met au service du marché ! Cela vaut pour les Chinois comme pour nous. Il faut donc renverser les tendances lourdes. Les flux sont plus forts que les lieux ? Il faut faire des lieux qui résistent aux flux. L’entre-soi, la ghettoïsation des riches comme des pauvres l’emporte sur la mixité ? Battons-nous pour contre les grillages et les fermetures. Le privé l’emporte sur le public ? Recréons des lieux publics partout où c’est possible.
- Télérama : Comment expliquez-vous que la plupart des pays qui arrivent à maîtriser le chaos urbain aient des régimes autoritaires ?
- Olivier Mongin : Parce que ce qu’on appelle le néolibéralisme est en fait la mise en place d’un capitalisme autoritaire, organisé par les Etats ! Ils mettent en place le système de la « ville globale », qui consiste à interconnecter certaines villes en réseau, sans se préoccuper de leur environnement proche ni des autres villes. On assiste à la mise en place d’un monde urbain à plusieurs vitesses.
Source : Télérama - Du 18 au 31 décembre 2010
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