"Fabriquer la ville, à quel prix ?" : c'est la question que pose le dossier du dernier numéro de la revue Urbanisme.
On y lira avec intérêt l'interview croisée entre Jean-Luc Poidevin, Alain Garès et David Mangin, et aussi les articles de Jean Haëntjens, Ariella Masboungi, et Morgan Poulizac.
On y trouvera également notre article "Nouvelle(s) économie(s)", qui aborde : 1) la nouvelle économie des projets urbains ; 2) les projets urbains dans la nouvelle économie.
Extraits :
L’optimisation économique des opérations d’aménagement s’impose comme un défi majeur, notamment pour permettre la production de logements abordables. Parmi les différents leviers possibles (montages juridiques fondés sur le démembrement de propriété, optimisation des processus de construction, solvabilisation des acquéreurs, mutualisation et partenariats aménageurs-promoteurs, etc.), l’articulation entre écriture urbaine et montage économique et opérationnel est l’un des plus efficaces. (...) En particulier, quatre composantes clefs des projets urbains doivent être travaillées de concert entre l’architecte-urbaniste et la composante montage économique et opérationnelle.
(...)
A côté de cette nouvelle économie des projets urbains, s’impose une autre « nouvelle économie », celle qui se déploie sous l’effet notamment de la révolution numérique et qui, dans le domaine des projets urbains, se traduit par l’émergence de « la ville intelligente ». (...) Ainsi, la révolution numérique emporte au moins trois conséquences pour les villes : transformation radicale de ses modes de production et de gestion, rôle central de l’usager-habitant, évolution accélérée des usages, développement de nouveaux modes de facturation. Se doter d’une stratégie « ville intelligente », c’est alors faire le constat que la ville est, qu’elle le veuille ou non, saisie par la révolution numérique et qu’il lui importe de se donner les moyens de répondre aux défis que soulèvent ces transformations. Dans cette nouvelle économie, les aménageurs se doivent de répondre à l’ensemble des défis posés par l’impact de la révolution numérique sur les villes. En particulier, comment la collectivité doit-elle se positionner sur la chaîne de valeur pour garder la maîtrise de la fabrication et de la gestion de la ville ? Avec quels partenaires doit-elle fabriquer et gérer la ville ? Comment peut-elle favoriser l’implication des usagers ? Comment peut-elle éviter l’obsolescence des nouveaux quartiers avant même qu’ils ne soient livrés ?
(...)
« Nouvelle économie des projets urbains » et « projets urbains dans la nouvelle économie », le lien entre ces deux défis pourrait sembler artificiel et relever d’une figure de style. Pourtant, ces deux défis sont bien les deux faces d’une même médaille.
En effet, l’articulation entre écriture urbaine et montage économique et opérationnel aura beau être la plus efficace possible, il n’en reste pas moins que le modèle économique de la fabrique urbaine est fragilisé dans son ensemble par la nouvelle contrainte financière et les bouleversements de la fabrique urbaine. Alors que la ville était largement payée par le contribuable et, dans une moindre mesure, par les acquéreurs de programmes neufs, « la notion d'espace public libre d'accès et gratuit est de plus en plus menacée » (David Mangin). Le risque est grand de s’acheminer vers une ville uniquement payée par ses usagers, mais à deux vitesses.
Mais dans le même temps, la ville saisie par la révolution numérique est une ville dont le modèle économique est en pleine transformation. En particulier, de nouvelles sources de recettes (autour des données, des actifs sous-utilisés, de la non-fraude, de la non-consommation…) et de nouveaux modes de facturation fine (en fonction de l’usage effectif d’un bien ou des caractéristiques de l’usager) apparaissent. En même temps, de nouvelles équations se mettent en place : on peut notamment observer que de nouveaux modèles de gratuité (« freemium », bifaces, effacement…) émergent sous l’effet du numérique. Ceux-ci devraient s’inviter dans la ville au fur et à mesure que celle-ci devient « intelligente », et invitent à une approche renouvelée de la gratuité et à élargir l’éventail possible des payeurs de la ville : aux trois payeurs initiaux de la ville (l’usager du service, le propriétaire, le contribuable), il faut désormais rajouter : les usagers des autres services, les usagers d’offres enrichies, les usagers des heures embouteillées, les annonceurs, les propriétaires de logements trop grands, etc .
Il importe donc que l’ensemble de ceux qui conçoivent les projets urbains, au premier rang desquels les architectes-urbanistes et les aménageurs, se saisissent de cette nouvelle économie. Faute de quoi, le risque est que quelqu'un ose proposer "son idée un peu folle : ouvrir les trottoirs la concurrence ! Voyons les choses en grand. Assurons aux trottoirs une plus grande compétitivité ! (...) L'entretien des trottoirs pèse trop lourdement sur le budget des villes dont les finances sont déjà en danger. Ne nous privons pas de l'aide du secteur privé. Imaginons une rue. Deux trottoirs opposés mais en jachère complète. Donnons, après un appel d'offres, la gestion de chaque trottoir à une société différente. C'est autant d'économies pour la ville ». (Titiou Lecoq, Les Morues, Editions au Diable Vauvert, 2011)
Sur la fabrique des projets urbains sous contrainte financière : www.mikado-urbain.com
Sur les projets urbains "intelligents" : www.tetris-urbain.com
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