A lire, dans Le Monde du 28 février, une interview de Christian de Portzamparc par Françoise Fressoz et Grégoire Allix.
Extraits :
Pour l’architecte et urbaniste Christian de Portzamparc, les candidats aux municipales des 15 et 22 mars devraient parler davantage de densité et de métropolisation.
Architecte et urbaniste, Christian de Portzamparc regrette que de nombreux candidats aux élections municipales des 15 et 22 mars refusent de parler construction et aménagement, pour ne promettre que de la verdure. Pour lui, même si le rapport entre élus et promoteurs a changé, il est encore possible pour un maire de contrôler la croissance de sa ville et de faire accepter à ses électeurs une ville densifiée.
Existe-t-il encore en France de grands maires bâtisseurs ?
Oui. Mais les maires bâtisseurs se cachent un peu lors des élections. Ils ne disent pas qu’ils vont construire et que de nouveaux habitants viendront. Promettre de ne rien faire est un exercice rhétorique. C’est un peu un jeu de dupes, les élections, ce n’est pas nouveau. Aujourd’hui, c’est effrayant, on n’entend parler que de verdure. C’est un argument tellement simple. Les élus disent : « Je ne construis pas, je plante. »
Promettre uniquement des arbres relève de la bêtise. C’est se voiler les yeux sur les problèmes, qui sont d’abord sociaux. La lutte entre les riches et les pauvres est violemment marquée dans le territoire, dans les capacités à circuler… Nous sommes témoins de l’opposition entre centre et périphérie. Les élus et les candidats ne parlent pas de la métropolisation. Les maires refusent de densifier. Mais il y aura une densification. Or cela peut entraîner une gentrification et rejeter les pauvres plus loin.
Comment faire accepter cette densité aux élus et aux habitants ?
Nous avons créé récemment avec Elizabeth de Portzamparc un nouveau cœur de ville à Massy [Essonne] avec le promoteur Cogedim, qui montre que cela peut se faire. Nous sommes montés jusqu’à quinze étages pour quelques immeubles, six étages pour d’autres. Il y a une grande place, un jardin, des commerces au rez-de-chaussée. Il faut prendre soin de l’urbanisme. Il y a une attention à la nature. Je suis certain que l’on peut concilier des jardins et de la densité urbaine.
En France, il y a un équilibre souvent difficile. Les maires n’ont pas toujours la voirie ou les équipements, les écoles, pour accueillir un grand projet. Et les associations contestent parfois une opération de manière exagérée. Ce ne sont pas toujours les habitants qui ont raison. Ils sont, en général, contre la densité des logements. Il n’est pas étonnant que des maires ne promettent que des arbres. Sur l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt [Hauts-de-Seine], où nous coordonnons le projet d’aménagement, les volumes des bâtiments sont comme un traité de paix entre la municipalité et les associations, qui protestent. La mairie, par prudence, nous a demandé de montrer moins d’images aux habitants. Mais finalement l’explication a été franche et positive sur le projet.
A Massy, le maire [Nicolas Samsoen, UDI] a exposé les trois maquettes des projets en compétition pendant un mois et fait choisir le lauréat à l’applaudimètre. La municipalité avait détaillé tout le programme, imposant même la taille des logements, ce qui agaçait Cogedim ; elle contrôlait l’opération. Le maire de Massy avait très bien préparé son coup, alors que les maires n’ont plus autant qu’avant le pouvoir d’être des bâtisseurs.
Qu’est-ce qui entrave ce pouvoir aujourd’hui ?
Les maires ont commencé à délivrer les permis dans les années 1970. Ils avaient souvent les moyens d’être des aménageurs. Les promoteurs agissaient sous l’autorité d’une ville garante du bien public. Mais de nombreux projets de l’Etat ou des collectivités ont dérapé. Le projet d’équipement culturel des Champs libres, que nous avons réalisé à Rennes, a duré quatorze ans, avec des conflits au sein du conseil municipal. L’agrandissement de l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon, a pris douze ans, avec des changements de projet. Cette lenteur a été dénoncée ; la situation coûtait cher à tout le monde.
Il a été décidé de mettre les acteurs privés en compétition, et que les jurys choisissent des entreprises qui s’engagent à livrer le projet clés en main. A cela s’est ajouté le manque d’argent public. Nous avons vu, dans le tournant des années 2000, les projets être portés par de grands groupes : Vinci, Bouygues, Eiffage et une dizaine d’entreprises moins importantes.
Quelle en est la conséquence ?
Nous redoutions que ce soient ces grands groupes qui construisent la ville et que les architectes soient sous leur coupe. En réalité, si la puissance publique exerce sa responsabilité, cela ne se passe pas comme ça. Il est très positif que les groupes soient non seulement les exécutants, mais aussi partie prenante dès le début. Cela apporte une certaine efficacité. Les grands groupes recrutent des spécialistes de l’urbanisme. C’est inattendu par rapport aux discussions d’il y a vingt ans, lorsque nous nous inquiétions qu’ils soient des bétonneurs absolus. Cela ne se déroule pas de façon aussi brutale.
C’est un équilibre à trouver. Le maire, le maître d’ouvrage public, n’a plus l’argent. Mais lorsqu’il est constamment représenté et qu’il va vérifier tous les deux mois si l’entreprise n’est pas en train de lui fourguer autre chose que ce qui est convenu, cela se passe bien. C’est la tendance d’une entreprise d’améliorer sa marge tout au long du chantier. Il faut être constamment vigilant.
Comment envisagez-vous la ville du futur ?
Je serai modeste sur ce point. La ville du futur se construit progressivement. L’injonction du futur était l’affaire du XXe siècle : il s’agissait de faire table rase du passé. C’était ce qu’apportait Le Corbusier. Nous avons besoin de prévoir le futur, mais il se construit aujourd’hui dans la ville par des actions locales nombreuses, qui évoluent en fonction de l’économie. C’est du cas par cas, alors que les visionnaires du futur au XXe siècle prévoyaient un système universel, un type de ville susceptible d’aller partout sur la planète. La ville industrielle du XXe siècle a produit des territoires difficiles pour l’animal humain. On ne peut pas marcher d’un endroit à un autre. C’est plein d’obstacles. Il faut un urbanisme qui répare. Cela dépasse souvent les capacités d’un maire.
Source : « Christian de Portzamparc : « Les maires bâtisseurs se cachent lors des élections ». - Propos recueillis par Françoise Fressoz et Grégoire Allix. Publié le 28 février 2020.
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