Ce billet a été rédigé par Sarah Fryde, étudiante en hypokhâgne.
L’Arabie Saoudite repense actuellement son modèle économique au travers du projet « Vision 2030 » … avec des conséquences… pour le Grand Paris !
Projet « Vision 2030 » : un bouleversement des investissements saoudiens
Cet ambitieux plan de restructuration, sous la direction du vice prince Mohammed Ben Salmane Al Saoud, représente une rupture du modèle économique actuel en intégrant de nouveaux acteurs et de nouveaux investissements : il entraîne le pays dans une réelle mutation économique, politique et spatiale.
L’enjeu est stratégique : préparer l’après-pétrole en réduisant la dépendance du pays (dont il tire 70% de ses revenus) et en diversifiant ses investissements.
Comment expliquer cette nécessaire restructuration économique ? On peut avancer deux raisons : l’impact de la forte chute des prix internationaux du pétrole sur la région et l’absence de diversité économique du royaume perçus comme un risque majeur pour la sécurité financière à long terme de l’Arabie Saoudite. Dans ce contexte, le projet « Vision 2030 » a pour ambition pour reprendre en main le destin économique et financier du pays.
Cette reconversion de la gestion des revenus du royaume, de ses dépenses et de ses ressources se concentre sur trois domaines : "améliorer la génération de revenus non pétroliers en augmentant les taxes et les droits de douanes sur les services publics », « diminuer les dépenses en diminuant les subventions, rationaliser le programme massif d’investissements publics du pays et détourner les dépenses en armement des achats à l’étranger » et enfin « diversifier ses richesses nationales et, simultanément, à accroître les revenus de placement actuels »'' (1) On constate déjà que « l’application initiale du projet a déjà impliqué de manière saisissante des changements institutionnels dans un pays longtemps connu pour sa prudence et son réformisme progressif ». (1)
Le 25 avril 2016, l’Arabie saoudite annonce qu’elle va se doter d’un fonds souverain de 2000 milliards de dollars (1775 milliards d’euros) soit le plus grand fonds du monde. Il sera composé des 600 milliards dont dispose déjà le royaume mais également des dividendes tirés de la vente de près de 5% du capital du géant pétrolier public Amco.
Pour le vice prince héritier Mohammed Ben Salman « Ce sera la plus grande introduction en bourse au monde ». L’entreprise devait être valorisée à plus de 2000 milliards de dollars. L’Arabie Saoudite se vante que son fonds souverain dépassera celui de la Norvège occupant la première place. Selon un prince saoudien, le fonds souverain « va contrôler plus de 10% de la capacité d’investissement dans le monde ».
Juin 2016, source Amer Hilabi AFP
Ce projet de restructuration est surveillé de près par les cinq autres membres du Conseil de coopération du Golfe et par de nombreux autres pays. Au-delà des réformes économiques fondamentales, ce projet peut en effet peut avoir de lourds retentissements sur l’ensemble de la région : « si l’Arabie Saoudite réussit à transformer son économie, notamment par la réforme de ses institutions et par la restructuration de ses incitations économiques, les autres pays, qui font face à des défis similaires dans la région et au-delà, seront inspirés par la même logique ». (1)
Toutefois, ce projet se montre tout autant ambitieux que risqué. Les transitions économiques sont toujours difficiles et notamment à cette échelle. Pour assurer leur succès, les autorités doivent obtenir l’adhésion des régions clés pouvant se montrer réticentes à l’égard de ce changement économique. Elles doivent faire face à un défi de taille : débarquer au pire moment sur le marché, avec la probabilité élevée de se lancer dans des investissements peu rentables, voire catastrophiques.
On se tourne désormais vers d’autres catégories d’actifs : « Certains misent sur les actions. D’autres sur l’immobilier. D’autres, encore, ont jeté leur dévolu sur les infrastructures (ports, aéroports, chemins de fer) censées rapporter des revenus récurrents déconnectés de la volatilité des autres marchés. » (2) Il s’agit alors de se concentrer sur ces nouveaux investissements. En tant que nouvel investisseur doté d’une importante richesse, l’Arabie Saoudite devient un acteur déterminant dans les questions d’aménagement et de mobilité.
Premier exemple : Uber en Arabie Saoudite: un acteur social de la mobilité
« Uber, la société californienne de service de voiture avec chauffeur, a annoncé le mercredi 1er juin avoir levé 3,5 milliards de dollars (3,1 milliards d’euros) auprès du fonds souverain d’Arabie Saoudite, le Public Investment Fund. Cet apport est réalisé sur la base d’une valorisation de 66 milliards de dollars. » (3)
Pourquoi ? Le royaume compte développer des VTC pour faciliter le travail des femmes qui n’ont pas le droit de conduire dans le pays. La société, qui incarne cette nouvelle mobilité du territoire, est déjà présente dans 5 villes saoudiennes : 4/5 des clients sont des femmes. Le fondateur d’Uber, Travis Kalanick, s’exprime à ce sujet : « notre expérience en Arabie saoudite est un excellent exemple de la façon dont Uber peut bénéficier aux passagers, aux conducteurs et aux villes ». Le plan de Vision 2030 consiste à doubler d’ici à cette date la proportion de femmes au travail, pour la faire passer à 30% des femmes. Cet investissement saoudien semble alors avoir un retentissement tout aussi économique que politique et spatial. Il crée une nouvelle mobilité dans le pays et intègre de nouveaux acteurs.
• Uber en Arabie Saoudite en quelques chiffres.
Mais le groupe se heurte partout à des obstacles juridiques ou à des contextes politiques tendus comme aux Etats-Unis : « une loi est actuellement en discussion au Congrès américain pour permettre de traduire les dirigeants saoudiens devant des tribunaux pour les attentats du 11 septembre 2001. Si le texte était adopté, l’Arabie saoudite pourrait prendre des mesures de rétorsion, en retirant ses investissement des Etats-Unis ». 3
Deuxième exemple : Quand la baisse du prix du pétrole contribue à la construction du nouveau Paris.
« La baisse du cours de pétrole pousse les investisseurs à créer des projets immobiliers plutôt que de simplement les acheter. »4'' Ces groupes qui investissent sont encore, pour la plupart, inconnus (on peut citer Adia, UCC, Qatari Diar, QInvest etc) mais ont un rôle déterminant dans la question de l’aménagement. La chaîne qatarie Constellation Hôtels a ainsi pu réunir 750 millions de dollars grâce à eux pour acquérir quatre palaces français dont le Grand Hôtel à Paris.
Autre exemple, ces grands groupes sont également derrière un projet d’investissement de 64,7 millions d’euros dans l’immobilier d’entreprise à Elincourt, dans les Yvelines à la lisière du plateau de Saclay. Plus récemment, Adia s’est impliqué dans la construction de la tour Alto à la défense aux côtés de Bouygues. Ces groupes reçoivent beaucoup de demandes pour investir en région parisienne plutôt que dans les autres capitales mondiales. Ces groupes« étoffent leurs équipes dans l’idée de devenir à terme aménageurs en Europe (en s’entourant de professionnels) ». Comme ils le sont parfois déjà chez eux ou en Afrique.
Certains jugent alors qu’ils ont un rôle important dans le grand Paris. Comme le souligne Chiara Corazza (directrice générale Paris-Ile-de-France Capitale économique), « les investisseurs veulent rencontrer Vinci, Bouygues ou la Caisse des Dépôts pour comprendre la mécanique du Grand Paris ». Ces réserves de richesses importantes sont donc un réel atout pour ce projet qui va transformer l’aménagement de la capitale. « Contrairement aux banques, ils n’ont pas besoin directement de cash flows. Ils peuvent se permettre de construire des logements et d’attendre que le métro arrive pour les rentabiliser »'' décode une experte. « Pour nous, investir 50 millions ou 200 millions de dollars, le travail est le même. Comme nos équipes sont limitées, nous avons intérêt à investir dans les projets les plus importants. Et sur des programmes de ces montants, nous n’avons besoin de personnes » explique un professionnel d’Abu Dhabi. (4)
Enfin, l’environnement administratif nécessite des compétences locales.
« Les visites d’hommes d’affaires et de professionnels ont là un rôle déterminant. En hommes de métier, ils expliquent ce qui est possible : « nous pouvons vous construire des résidences hôtelières pour vos étudiants mais aussi les équipements et les routes qui vont avec » propose ainsi le responsable d’une entreprise d’Abu Dhabi. « Par exemple, nous avons investi 250 millions de dollars au Pays Bas dans un ensemble de 3900 logements avec une rémunération correcte et nous gérons tout cela d’ici, raconte le responsable d’un autre fonds. Les territoires de Saclay ou du grand Roissy pourraient nous intéresser. Aujourd’hui, pour avoir un rendement suffisant, nous sommes obligés de créer des projets plutôt que d’acheter. C’est aussi pour cela que le montant unitaire de nos investissements augmente depuis 5ans. » (4à
Pour paraphraser l’expression de Valéry Giscard d’Estaing, l’Arabie Saoudite n’aura bientôt plus de pétrole, mais elle a des idées.
Sources :
(1) « Le tournant saoudien, un texte pour les monarchies du pétrole » - La Chronique de Mohamed A.El-Erian - Les Echos, 2 juin 2016
(2) « Le souverain des fonds » - Marie Charrel - Le Monde, 27 avril 2016.
(3)« L’Arabie Saoudite investit 3,5 milliards de dollars dans Uber » Stéphane Lauer - Le Monde - 3 juin 2016 - Stéphane Lauer
(4)« Pour rentabiliser leurs investissements, les fonds arabes sont de plus en plus aménageurs » - D.Ma (au Moyen-Orient) - Les Echos, 1er juin 2016.
A lire aussi : "Le rachat de 14 hectares à Londres par le fonds souverain norvégien" (ici).
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