« Pourquoi le coton bio », « Un café sans gobelet », « Une seconde vie pour vos livres », « Parcours éco-citoyen à dos de poney »… Tandis que l’Etat vient de surseoir à la mise en œuvre de la taxe carbone, le programme des manifestations de la « semaine du développement durable » qui a démarré ce 1er avril peut parfois prêter à sourire mais il témoigne d’un engouement populaire indéniable pour ce nouvel impératif. Parallèlement, la présence de grands groupes parmi les partenaires de l’opération est le signe que la conversion des entreprises au développement durable a bien eu lieu, au moins dans les discours – ce qui est déjà un point de départ – sinon dans les actes. Surtout, une autre conversion, plus discrète mais très significative, est en train d’émerger : de plus en plus, les entreprises se définissent comme des acteurs de la ville – durable, cela va de soi.
Un tel affichage n’est pas surprenant quand il émane de groupes spécialisés sur les services urbains (cf. ci-dessus la récente campagne de publicité de Veolia sur fond de villes vues du ciel) ou l’immobilier (il y a quelques années, Nexity se vantait de construire chaque année l’équivalent d’une ville comme Biarritz). Il est en revanche très novateur lorsqu’il est porté par des entreprises dont le cœur de métier semble de prime abord plus éloigné des enjeux urbains. Siemens, l’un des premiers fabricants mondiaux d’équipements électriques et électroniques, constitue ainsi un cas d’école : son mot d’ordre est désormais « innover pour une ville durable » (cf. Les Echos du 22 mars 2010), c’était l’un des principaux partenaires du Forum Urbain Mondial qui vient de s’achever à Rio sous l’égide de l’ONU-Habitat, et son nouveau site internet est le reflet de cette ambition : la dimension urbaine est dorénavant au cœur de la stratégie du groupe allemand. Même si c’est à un moindre degré, d’autres exemples témoignent de cette nouvelle tendance : en France, Vinci ou PSA ont mis en place des think-tank urbains et BNP Paribas a récemment fait une vaste campagne publicitaire dans la presse écrite pour rappeler qu’il est le premier employeur privé de Seine-Saint-Denis.
Pour une entreprise, se définir comme un acteur des villes, c’est d’abord une stratégie commerciale qui prend acte du fait que, sous l’effet de l’urbanisation et de l’affaiblissement du niveau national, les autorités publiques locales sont devenues, un peu partout dans le monde, des entités politiques et économiques puissantes et autonomes (il est par exemple significatif que des villes aient directement ratifié le protocole de Kyoto). Or, sous l’effet conjugué d’une diminution de leurs moyens financiers et techniques, et de politiques publiques favorables aux partenariats public-privé, ces autorités municipales ou régionales ont de plus en plus recours à des partenaires privés qu’elles choisiront d’autant plus volontiers qu’ils leur proposeront des solutions clefs-en-main. Se définir comme un acteur des villes, c’est aussi s’affirmer comme une entreprise citoyenne : par exemple, les grandes groupes de distribution sont de plus en plus souvent accusés de produire une « France moche » et ont tout intérêt à désamorcer ces critiques.
Mais la conversion des entreprises à la ville durable n’est pas qu’un enjeu de business. Elle permet surtout de « refonder la fabrique de la ville » et de répondre ainsi à l’injonction lancée fin mars à Rio par l’ONU (cf. Le Monde du 28-29 mars 2010). Car, en se construisant comme acteur de la ville durable, les entreprises désignent les villes (au sens institutionnel) comme l’une de leurs principales parties-prenantes, et, réciproquement, elles se revendiquent elles-mêmes comme parties-prenantes des villes. Elles jettent ainsi les bases qui permettront d’inventer les nouveaux modèles économiques de la ville durable, qui sont une condition de sa faisabilité au moins aussi nécessaire que les appels à la vertu. En matière de ville durable comme de déchets, le taux de rendement interne (T.R.I.) importe autant que le tri !
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