Les cours viennent de reprendre à l'Ecole Urbaine de Sciences Po, avec un format un peu particulier cette année. Sur les 12 séances que nous consacrerons aux "acteurs privés de la ville", deux seulement seront en présentiel et les dix autres en distanciel. C'est une bonne occasion de revoir nos formats pédagogiques ! Aujourd'hui, pour alimenter la partie "asynchrone" du cours (qui vient en complément de la partie "synchrone", qu'elle soit en distanciel ou en présentiel !), nous venons de réaliser notre premier podcast, sur les entreprises de services urbains. Il est écoutable ici (durée : un peu moins de 8 minutes) :
Voici également sa retranscription écrite :
Bonjour, je suis Isabelle Baraud-Serfaty, enseignante du cours acteurs privés de la ville, à Sciences Po. Nous sommes le mardi 22 septembre 2020. Le but de ce podcast c’est de vous présenter – à grand traits – une famille d’acteurs qui jouent un rôle très important dans la ville : les entreprises de services urbains.
JINGLE : KEYWOO
Les entreprises de services urbains interviennent notamment, mais pas seulement, dans les secteurs de l’eau, des déchets, de la mobilité, de l’énergie, soit des SPIC (services publics industriels et commerciaux). Parmi les représentants les plus connus de cette famille, on peut citer des entreprises comme Veolia et Suez, qui font la une de l’actualité en ce moment.
Cette famille incarne une forme typique de relation public-privé : la DSP, qui peut prendre plusieurs formes, notamment concession ou affermage. C’est un mode de relation qui est spécifiquement français et qui se caractérise par quelques éléments clefs : 1. La relation entre acteur public et acteur privé est de nature contractuelle, en général de longue durée ; 2. le service délégué doit s’exercer sous le contrôle de la collectivité délégante (notamment en matière de fixation des tarifs) ; 3. la rémunération doit se faire substantiellement via le prix payé par l’usager, et l’exploitation doit se faire aux risques et périls du délégataire ; 4. enfin s’agissant par exemple d’une concession, les infrastructures réalisées par le concessionnaire reviennent à la collectivité concédante au terme du contrat.
C’est un modèle qui est très ancien. Les ancêtres de Veolia et Suez sont nés au milieu du 19ème siècle et ont façonné ce qu’on peut appeler la ville des infrastructures.
Ce modèle a été chahuté ces dernières années, notamment en ce qui concerne la gestion de l’eau. On a notamment assisté à un important mouvement de reprise en régie (ou remunicipalisation) par un certain nombre de collectivités, au premier rang desquelles Paris, qui considèrent que la gestion déléguée de l’eau est non seulement opaque mais aussi plus coûteuse, notamment car le prix de l’eau doit incorporer la rémunération du délégataire et son exigence de rentabilité. Ce à quoi les délégataires de l’eau répondent qu’ils peuvent bénéficier d’économie d’échelles, notamment sur la recherche et le développement, et surtout qu’il ne faut pas seulement regarder le prix de l’eau à court terme, mais les investissements qui sont réalisés sur la durée pour entretenir les réseaux.
Pour ma part, je ne vais pas trancher ce débat : je crois qu’il doit s’arbitrer en fonction de chaque situation locale, et surtout il me semble qu’il y a aujourd’hui de nouveaux enjeux. Je vais en citer 4.
Un premier enjeu : c’est de voir comment ces secteurs, notamment l’eau et les déchets, peuvent répondre aux enjeux de transition environnementale. Il y a d'abord un impératif de sobriété : jusqu’à présent, plus les clients des opérateurs de l’eau (qu’il s’agisse de Veolia ou Suez ou d’une ville en régie) consommaient d’eau, plus ces opérateurs gagnaient de l’argent. Aujourd’hui, il leur faut trouver des modèles de rémunération qui soit liée à la réduction des consommations. Ensuite un impératif d’économie circulaire : à partir du moment où ça devient une attente forte des consommateurs et des collectivités locales, ça peut faire bouger les modèles économiques et faire venir plein de nouveaux acteurs. Suez pense ainsi que ses concurrents dans le secteur des déchets pourrait venir des géants de l’e-commerce : ils s’intéresseront forcément un jour au tri et à la collecte des emballages, et cela bousculera tout le marché.
Un deuxième enjeu est de voir comment le modèle des infrastructures s’adapte à la transition numérique, et notamment à l’irruption des plateformes.
Un troisième enjeu, lié aux précédents, concerne l’outil contractuel qu’est la DSP. Il y a d'abord une question liée à la durée du contrat : est-ce que cet outil est encore adapté quand on voit que les évolutions sur ces secteurs sont des évolutions radicales, qui modifient l’équation du contrat et pas seulement ses variables ? Une manière de dépasser ce débat, a été la création en 2014 de la SEMOP (sociétés d’économie mixte à opération unique), qui permet à la collectivité locale de rentrer au capital du délégant, mais est-ce suffisant pour permettre l’évolutivité du contrat ? Il y a ensuite une question liée à la dimension bilatérale du contrat : est-ce qu’un outil entre 2 entités a encore du sens alors même que les parties prenantes se multiplient et que les secteurs des services urbains s’organisent de plus en plus sous la forme d’écosystèmes ?
Un quatrième enjeu est lié à la financiarisation de ce secteur. Compte tenu du coût d’entrée, les opérateurs de l’eau et des déchets sont traditionnellement des grandes sociétés, souvent côtées. Or, force est de constater que celles-ci suscitent de plus en plus l’intérêt d’investisseurs financiers. Or : d’une part : il n’y a pas plus différent d’un investisseur financier qu’un autre investisseur financier ; d’autre part, dis-moi qui est ton actionnaire, je te dirai quelle est ta stratégie.
Régulièrement, l’actualité se fait l’écho de ces débats. En 2007, la SAUR, qui est le troisième opérateur d’eau et de déchets en France, avait failli être vendue à un fonds australien, Macquarie, jusqu’à ce que l’Association des Maires de France, peut-être poussée par un candidat au rachat, fasse pencher la balance au profit d’un consortium français.
Plus récemment, début septembre 2020, dans le cadre de son offre d’achat de Suez (ou plus exactement, offre de rachat de la part d'Engie dans Suez), Veolia a promis de revendre la filiale de Suez en France consacrée à la distribution et à l’assainissement de l’eau au fonds d’investissement tricolore Meridiam, si son OPA réussissait. Quels seraient les avantages et les inconvénients d’une telle cession ?
JINGLE : KEYWOO
Pour résumer mon propos :
Les entreprises de services urbains sont des acteurs clefs de la fabrique et de la gestion urbaine, notamment dans beaucoup de secteurs liés à l’environnement. Cette famille incarne une forme typique de relation public-privé : la DSP. Pour les aborder dans une logique « coproduction public-privé au service de l’intérêt général », il faut changer de grille de lecture.
La grille de lecture habituelle distinguait : opérateurs privés intervenant dans le cadre d’une DSP / versus opérateur public (CL en régie). Il me semble qu'une nouvelle grille de lecture doit se situer à 4 niveaux :
- Modèle économique de l’opérateur qui prend en compte les enjeux environnementaux / versus modèle économique de l’opérateur qui ne prend pas en compte les enjeux environnementaux
- Modèle de l’opérateur fondé sur grands réseaux urbains / versus modèle davantage en lien avec transition numérique.
- Modèle de l’opérateur évolutif dans la durée / versus modèle davantage figé sur une situation donnée
- Actionnaires financiers avec vision court terme / versus actionnaires avec vision long terme ou pas.
Pour aller plus loin, je vous invite à : suivre le feuilleton Veolia / Suez ; lire le livre de Christophe Defeuilley, « L’entrepreneur et le Prince », sur la création du service public de l’eau (notamment le chapitre sur l’eau avant les réseaux, où vous croiserez la figure du porteur d’eau) ; vous balader sur la plage de la Baule, dont la gestion a été confiée en 2016 à Veolia pour une durée de 12 ans (ici).
JINGLE : KEYWOO
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A suivre :
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