Ce billet a été rédigé par Sarah Fryde, étudiante en khâgne.
L’Espagne a connu un réel bouleversement économique depuis ces 10 dernières années. Une course démente aux infrastructures des années 2000 l’a entraînée dans une lourde crise financière dont les conséquences sont toujours visibles aujourd’hui.
Les richissimes entrepreneurs et la spéculation déraisonnée des années 2000 ont cédé la place aux petits survivants et aux fonds d’investissement étrangers, plus sobres, et, a priori, plus rationnels.
L’origine du changement : la mise en liquidation des « seigneurs de la brique »
Le cas de Fernando Martin, patron du groupe Martinsa Fadesa, l’ancien empire immobilier, est représentatif de l’ensemble du phénomène économique qui toucha le sol espagnol. Il fonda son entreprise immobilière en 1991, Martinsa. Celle-ci, « qui opérait essentiellement dans la région de Madrid, a vu sa croissance bondir dans les années 2000 à la faveur du boom. (…) Pour passer du statut d’étoile montante à celui de star établie, Martin fait le grand saut, ou plutôt le grand plongeon, et rachète cette année-là, au paroxysme de la bulle, son concurrent Fadesa, un groupe bien plus gros que le sien, pour 4 milliards d’euros. Mais la satisfaction de diriger un ensemble de 13 milliards d’euros d’actifs sera fugace. En 2008, Martinsa-Fadesa, lesté d’une dette de 7 milliards d’euros et incapable de faire face à ses obligations financières, est l’auteur du plus gros dépôt de bilan de l’histoire du pays ». Aujourd’hui, ironie du sort, « alors que l’agonie financière de Fernando Martin touche à sa fin, le secteur montre des signes de redressement » : les ventes de logement ont augmenté pour la 1e fois depuis 2010. Les prix commencent à remonter (+1,8% en 2014) après une chute de 37% depuis le début de la crise. Ces progrès ne sont, certes, pas négligeables mais des complications subsistent. Les conséquences à toutes les échelles sont lourdes à payer : sociales et financières.
Sur un plan social, la crise, souvent synonyme de licenciement, a affecté l’Espagne. Si en 2007 l’Association des Promoteurs de Madrid (Asprima) comptait 250 membres, elle ne mobilise plus que 65 adhérents aujourd’hui.
Sur un plan financier, l’époque où les établissements bancaires finançaient jusqu’à 100% de certains actifs immobiliers est désormais révolue. Les banques cherchent à réduire au maximum leur exposition aux promoteurs : « nous sommes obligés d’apporter en fonds propres au moins 50% de l’investissement de nos projets » affirme Carolina Roca, la dirigeante du groupe Grupo Roca.
Les fonds d’investissement étrangers, sauveurs du marché immobilier
Sareb, la « bad bank » espagnole créée pour l’occasion, a permis de débloquer le secteur après 5 ans de crise : « afin de réduire son bilan de 50 milliards d’euros d’actifs, elle a bradé les prix et vendu en août 2013 un premier portefeuille valorisé à 100 millions d’euros à un fonds opportuniste, HIG Capital. (…) L’arrivée de ces fonds a permis de donner une référence de prix, alors qu’on ne savait plus combien valaient les immeubles » estime José Luis Ruiz Bartolomé.
La première opération de la Sareb va attirer d’autres fonds d’investissement : par exemple, le fonds américain Blackstone, devenu propriétaire de 1800 logements HM de la mairie de Madrid. Aujourd’hui ces nouveaux vendeurs sont désormais incontournables. La Sareb a permis aux investissements immobiliers de retrouver en 2014 leur niveau d’avant la crise à 10,5 milliards d’euros (d’après le groupe de conseil immobilier CBRE).
Le promoteur chinois Wang Jianlin a racheté, pour 265 millions d’euros, à la banque Santander un tour imposante du centre de Madrid vide depuis près de 10 ans pour y développer un centre commercial et un hôtel. Ce même promoteur ambitionne d’édifier au Sud-Ouest de Madrid un énorme complexe de loisirs pour 3 milliards d’euros, projet que les Madrilènes ont déjà baptisé l’Eurovegas chinois.
L’arrivée de ces nouveaux acteurs conjuguée à un stock gigantesque de terrains à faible prix favorise le montage de grosses opérations dans l’immobilier commercial. La consommation repart. « Dans l’Espagne de l’austérité et de la rigueur financière, la folie des grandeurs connaît encore des sursauts ».
Source : « En Espagne, la chute des « seigneurs de la brique » - Gaëlle Lucas – Les Echos - Mercredi 25 mars 2015.
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