Vers des BID à la française ?
A lire un stimulant article de William Yon, directeur de l’agence d’architecture Gensler France, dans le Journal du Grand Paris : ici.
Extraits :
Voyez-vous d’autres outils juridiques qui pourraient jouer un rôle-clé dans la relance ?
Je vois en particulier un manque de structure adaptée pour guider l’initiative privée sur l’espace public, à l’instar des Business improvement districts (BID) anglo-saxons. Un des effets des contraintes budgétaires sur les collectivités locales est la difficulté croissante à justifier politiquement la rénovation des lieux touristiques ou commerciaux en hypercentres, faute de savoir capter la plus-value foncière ou commerciale engendrée par les travaux. Nos outils de fiscalité pour l’aménagement se concentrent en effet presque exclusivement sur le neuf, et notre culture de l’association de riverains touche ici ses limites, à savoir son incapacité à sécuriser des recettes d’une année sur l’autre.
Les Anglais ont créé le BID en 2003 et l’ont depuis affiné, si bien qu’après un usage initial visant à améliorer les quartiers d’affaires – avec une accusation compréhensible de privatisation de l’espace public –, les BID servent désormais à revitaliser les centres urbains des villes secondaires et à mieux flécher les investissements publics des « high streets », un soutien analogue à « Action cœur de ville » de la Caisse des dépôts en France. Ils sont devenus monnaie courante dans le monde anglo-saxon et un véritable outil de l’empowerment des communautés.
Pourtant les associations de quartiers sont très actives sur les questions d’espace public…
Il existe en effet des comités de quartier de nature associative qui interpellent les élus pour demander des améliorations de l’espace public et qui parfois sont même en mesure d’y contribuer. Mais cette approche pose aussi des questions : tout d’abord sur la représentativité des associations quand il s’agit de flécher l’investissement public et également sur l’absence de cadre clair à certaines actions. Pour illustrer ces risques, si l’on pense au Wifi dit gratuit offert par des opérateurs privés, comme fréquemment dans les zones commerciales en Asie, il faut avoir conscience que la collectivité offre alors les données des usagers à un opérateur (trajectoires de boutique à boutique, temps devant chaque vitrine, etc). Cadrer ce lien entre initiative privée et espace public est autant une opportunité qu’une nécessité.
Selon vous, quelle forme prendrait un BID en France ?
Si on s’inspire de l’exemple anglais, le BID s’articule autour d’un projet de réaménagement, de rénovation, d’animation et/ou de gestion de l’espace public. A l’initiative de ce projet peuvent être les services de la ville ou l’association de citoyens ou parfois même des architectes qui s’autosaisissent. Ces derniers vont soumettre leur projet à un conseil municipal. J’ai ainsi des collègues de Gensler au Royaume-Uni qui ont été, en tant que citoyens, à l’origine d’un BID sur leur quartier. C’est ensuite la ville qui finalise le projet, y met un cadre d’intérêt public et définit un périmètre d’aménagement au sein duquel toutes les parties prenantes vont être amenées à voter pour ou contre une taxe locale permettant la réalisation du projet.
L’acceptation se fait à la majorité, une société de projet est alors établie, et la visibilité de ses recettes fiscales permet l’emprunt et la réalisation du projet sans peser sur les finances de la ville. Si le projet s’inscrit dans une initiative publique plus large (rénovation thermique, Action cœur de ville, etc.) alors les subventions publiques seront efficacement fléchées vers cette société de projet qui sera économiquement responsable de la réussite de l’opération. S’il fallait un point de divergence avec le modèle anglais, je miserais sur l’inclusion des propriétaires fonciers aux parties prenantes sollicitées. En effet les Anglais limitent la consultation aux commerçants et résidents sauf exception. Cela ferait d’autant plus sens dans un monde post-Covid où le couple bailleur/commerçant est en pleine transformation.
Et comment cela s’articulerait-il avec un plan de relance ?
Même les plans de relance sont sélectifs et soutiennent en priorité les projets viables. Avec un cadre juridique robuste pour ces BID, qui sécurisent des recettes fiscales sur 10 ou 20 ans, la discussion avec les organismes financeurs n’en sera que plus efficace, et l’homogénéité du montage permettrait même la massification. Sans oublier que certains de ces projets peuvent avoir des dimensions très significatives pris individuellement : on pourrait penser à l’interface Montparnasse-rue de Rennes, aux Champs-Elysées, aux quartiers de gares parisiennes et bientôt aux quartiers des gares du Grand Paris, mais aussi aux portes de Paris et aux cœurs de villes du Grand Paris. On y retrouverait également un mode récurrent de soutien à la culture sur l’espace public, puisque ces outils servent aussi à financer l’animation. Enfin, rappelons que la création de cet outil devra passer par l’étape législative, donc s’il doit être prêt pour la relance, autant démarrer tôt !
Pour aller plus loin sur ce sujet, voir notamment notre note pour le Réseau National des Aménageurs (ici) et l’intervention de Renaud Le Goix à l’Institut Paris Région (ici, table-ronde n°4).