Un parfum de DSP
Comme le relatent les Echos d’hier, le quartier d’affaires marseillais Euroméditerranée s’équipe d’une unité de thalassothermie, dénommée Thassalia, tirant des calories de la mer pour climatiser et chauffer des bâtiments. Il s’agit assurément d’une technique prometteuse : l’initiateur du projet, Cofely, considère qu’ « avec 40% de la population mondiale vivant à moins de 100 km de la mer, le potentiel est grand pour les territoires littoraux dans le cadre notamment de nouveaux projets urbains » (Le Moniteur).
Mais c’est un autre aspect du projet, en l’occurrence son montage juridique, qui retient notre attention. Patrick Berardi, le directeur général de Thassalia, le décrit d’une jolie formule : « nous n’avons conclu aucun lien contractuel avec Euroméditerranée, mais notre partenariat a le parfum d’une DSP ».
« Le parfum d’une DSP » ! Cette expression pleine de poésie invite qu’on s’y arrête quelques instants. Il nous semble en effet qu’elle témoigne du fait que les outils classiques de montage des projets touchent aujourd’hui à leurs limites.
Les limites des outils classiques sont manifestes dans le champ de la commande publique, et concernent tout particulièrement les DSP (délégation de service public) et PPP (contrats de partenariat public privé).
Désormais les projets doivent en effet composer avec une incertitude beaucoup plus forte :
– incertitude sur les usages (les bâtiments auront-ils encore besoin de chauffage ? les citadins auront-ils encore des voitures ? …), qui rend acrobatique l’expression du besoin ;
– incertitude sur les systèmes techniques dans un contexte marqué par l’accélération des innovations technologiques ;
– incertitude sur les modèles économiques (comment anticiper les volumes et les prix dans ce contexte d’incertitude sur les usages ? Comment évaluer les coûts des nouveaux systèmes techniques ?…)
Or, le choix même du mode contractuel dépend de ces éléments : par exemple, il ne peut y avoir de DSP que pour autant que le service soit substantiellement rémunéré par son exploitation (versus les subventions publiques), et toute modification structurelle de l’équilibre économique peut entraîner l’annulation du contrat.
Plus fondamentalement encore, comment une collectivité peut-elle s’engager sur un contrat de longue durée si elle n’est pas en mesure de définir précisément ses besoins ?
Enfin, une autre difficulté est évidemment le coût que peut représenter ce montage pour la collectivité, dans un contexte de raréfaction des finances publiques. « Une délégation de service public a été initialement imaginée pour ce projet il y a trois ans : elle couvrait l’ensemble du projet de rénovation urbaine mais son ampleur nécessitait le raccordement de plus de 100.000 m2 de bâti par an. « Il est apparu que l’investissement serait impossible à prendre en charge par les collectivités », résume Paul Colombani, directeur général adjoint d’Euroméditerranée ».
Un premier type de réponse est apporté par la création de la SEMOP (SEM à opération unique), qui permet de faciliter le recours à l’économie mixte en facilitant le recours aux capitaux privés. Comme nous l’écrivions dans un précédent billet, dans un contexte où ce ne sont plus seulement les variables de l’équation (prix, quantités) qui bougent, mais l’équation elle-même (besoins, usages, modèles économiques), l’économie mixte permet aux collectivités de rester impliquées dans la définition du besoin tout au long de la vie du contrat.
Un deuxième type de réponse est précisément apporté par le montage du projet de Thassalia. « Le projet initial a donc été morcelé et un appel à candidatures a été lancé pour chaque lot ». A Marseille, « l’usine de géothermie Thassalia qu’y construit Cofely (GDF Suez) pour un investissement de 35 millions d’euros totalisera 3 km de tuyauteries pour fournir les besoins en chaleur et en froid de près de 500.000m² de logements, de commerces et de bureaux. A Marseille, Cofely compte sur son implantation stratégique au pied de la future skyline phocéenne pour convaincre. Fin septembre, le groupe immobilier Constructa a signé le raccordement de ses tours en projet, La Marseillaise et H99. Le grand immeuble des docks sera également connecté et sans doute le complexe Euromed Center en chantier. Chiffre d’affaires attendu : environ 6 millions d’euros. Pour amortir son investissement, la filiale de GDF Suez bénéficiera de subventions d’équilibres provenant de l’Ademe, du Feder, de la Région, du Département, de la Ville et de l’Agglomération, pour un montant de 5,4 millions d’euros. Les collectivité ne rechignent pas : l’installation permettra de réduire de 70 % les émissions de gaz à effet de serre et de deux tiers la consommation d’eau habituellement utilisée dans les systèmes réfrigérants.
Mais les limites des outils classiques de fabrique des projets urbains sont également manifestes dans le champ de l’aménagement. En effet, les logiques très séquentielles qui prévalent classiquement (création d’une ZAC, puis signature de promesses de ventes entre aménageur et promoteurs,…) sont aujourd’hui bousculées du fait que :
– la mutualisation (des places de stationnement, de l’énergie, etc… ) s’impose désormais comme une ardente obligation sous l’effet de la contrainte financière et de l’impératif de la ville durable, or elle oblige à penser simultanément l’échelle du quartier et celle du bâtiment ;
– les acteurs ne sont plus forcément cantonnés à leur rôle classique. Par exemple un promoteur peut être aussi propriétaire foncier et investisseur, de même qu’une collectivité locale peut être utilisateur de surfaces construites.
– La connaissance des usages est un impératif, en particulier lorsqu’il s’agit de commercialiser des formes urbaines inédites (qui mixent par exemple de manière dense logement et immobilier d’activités).
Ainsi, les modes de faire de la ville évoluent, et les outils classiques laissent de plus en plus la place à de nouvelles relations partenariales, inédites, entre acteurs (ici). Ce sera un des sujets explorés lors des Entretiens du CEREMA Territoires et villes durables qui se tiendra mercredi prochain, 4 février, à Lyon. Nous y introduirons l’atelier 7, consacré à « l’aménagement contractuel et négocié ». A suivre donc…
Sources :
– “Le montage complexe de l’exploitation d’eau de mer”– Les Echos – 28-1-2015
– Patrick Berardi – Le parfum d’une DSP– Les Echos – 28-1-2015
– “Euroméditerranée et Cofely lancent la première centrale française de géothermie marine”. Le Moniteur.fr – Publié le 01/10/14