A lire dans le Monde.fr du 18 août une tribune de 40 signataires (dont ibicity) du monde de l'immobilier et de l'urbanisme pour donner aux acteurs de la solidarité, de la culture, de la santé, de l'éducation, de l'ESS et de la transition écologique un accès privilégié aux espaces urbains et immobiliers.
Dans le cœur des métropoles comme dans les petites villes, de nombreux lieux apparaissent aujourd’hui comme des têtes de pont de la gestion quotidienne des urgences sociales. La crise que connaît le pays l’a démontré : les tiers lieux, les espaces culturels ou associatifs, les lieux consacrés aux savoirs, à l’accueil ou à la santé, ont su se mobiliser pour traverser la crise sanitaire, accueillir les plus précaires, mettre en place des activités de distribution alimentaire et produire localement du matériel de santé.
Ces lieux, si résilients face à l’urgence, sont aussi féconds et utiles à long terme, comme autant d’espaces solidaires et porteurs de transitions. Depuis longtemps déjà, ils accueillent les écosystèmes de l’économie sociale et solidaire, de l’économie verte, du monde associatif, de la santé, de la culture, ainsi qu’un tissu dense de créateurs, d’artisans et de producteurs locaux.
Nouvelles formes de production
Dans les centres-villes, ces lieux servent de socles à ces activités indispensables à notre société, mais qui n’ont pas accès au marché immobilier classique.
En zone rurale et périurbaine, ils servent de contrepoids à la fragilité liée à la spécialisation économique d’une région. Partout, ils assurent de nouvelles formes de production, de sociabilité et de solidarité. Ces lieux garantissent la résilience de tous les territoires face aux enjeux du siècle à venir.
Cumulant utilité locale et intérêt général, les activités de production locale et de solidarité apportent des réponses efficaces et de proximité à la nécessaire relance économique, environnementale et sociale du pays. Elles doivent pouvoir compter non pas sur un soutien ponctuel à la sortie de la crise, mais sur une aide structurelle, via des conditions d’accueil préférentielles.
Ces espaces d’inventivité et de solidarité, nouveaux communs urbains, doivent pouvoir bénéficier d’un accès garanti et privilégié à l’immobilier. La quasi-absence de loyer est la condition qui leur permet de générer davantage de valeurs que les acteurs économiques traditionnels, soumis aux contraintes financières des modèles immobiliers classiques.
Nous, urbanistes, économistes, politistes, architectes, aménageurs, acteurs de l’immobilier, géographes, acteurs de l’économie sociale et solidaire, proposons de réserver une partie des espaces commerciaux et d’activités aux acteurs qui construisent l’avenir.
Mesure progressive
En tant qu’acteurs de la ville et de l’immobilier, nous estimons que le plan de relance économique et sociale doit soutenir durablement et profondément ces activités, mobilisées pendant la crise sanitaire, mais elles aussi mises en péril par la crise économique.
Nous proposons que les collectivités, ainsi que les grands propriétaires immobiliers, mettent progressivement à disposition 20 % des locaux d’activités économiques du territoire au prix des charges, pour accueillir des activités solidaires et de transition.
Seule une mobilisation conjointe des fonciers privés et publics peut offrir un socle territorial aux activités dont notre société a besoin pour « se réinventer ». Certaines collectivités ou propriétaires privés mettent d’ores et déjà à disposition des locaux au prix des charges : il est temps de massifier ces pratiques immobilières solidaires. Les rez-de-chaussée et les cœurs de ville en sortiront renforcés.
Sur le modèle de la loi Solidarité et renouvellement urbain [loi SRU du 13 décembre 2000], nous pensons que les territoires devraient progressivement disposer de 20 % des surfaces de locaux d’activités économiques au prix des charges. Ces espaces doivent être consacrés aux structures qui participent activement à la transition écologique, numérique, démocratique et démographique. Une progressivité de cette mesure (augmentation de 1 % par an pendant vingt ans) serait nécessaire pour permettre à tous les territoires de s’adapter aux enjeux sans bouleverser les structures économiques en place.
Incitations fiscales
Cette mise à disposition progressive pourrait s’accompagner de dispositifs d’encouragement, comme des incitations fiscales à mettre les locaux d’activité au prix des charges, ou une majoration de la taxe foncière sur les locaux vacants, permettant de financer par exemple un abaissement de la TVA pour les acteurs de la transition.
Pour y parvenir, de nouveaux opérateurs doivent émerger et des montages immobiliers sont à imaginer : obligation de proposer des surfaces au prix des charges pour chaque construction neuve à partir de 5 000 m2, création de foncières régionales d’activité et de commerce à loyer modéré, élargissement de l’action des organismes de foncier solidaire, ou encore accompagnement des communes en termes de portage, d’acquisition, de construction et de réhabilitation de locaux.
Des « assises nationales des espaces solidaires et de transition » sont nécessaires afin de construire ensemble les modalités de mise en œuvre de cette proposition.
Territoire par territoire, cette économie de solidarité et de transition doit s’organiser pour retisser un nouveau maillage d’emplois, de créativités, de générosités nouvelles. Nous y voyons une solution d’avenir. La question immobilière, pierre angulaire de ces activités sociales et de transition, est aujourd’hui un verrou : il est urgent de le briser.
Les signataires : ce texte est signé par quarante urbanistes, économistes, politistes, architectes, aménageurs, acteurs de l’immobilier, géographes et acteurs de l’économie sociale et solidaire : Dominique Alba (directrice de l’Atelier parisien d’urbanisme-APUR) ; Cécile Altaber (urbaniste, Plateau urbain) ; Isabelle Baraud-Serfaty (consultante en économie urbaine et enseignante à Sciences Po) ; Raphaël Besson (directeur de Villes Innovations, chercheur associé Pacte-CNRS) ; Patrick Bouchain (La Preuve par 7, Grand Prix de l’urbanisme 2019) ; Sébastien Chambe (urbaniste, directeur général adjoint, Institut Paris Région) ; Séverine Chapus (BNP Paribas Real Estate) ; Hugo Christy (urbaniste) ; Paul Citron (urbaniste, Plateau urbain) ; Fanny Cottet (doctorante, Plateau urbain, université Paris-I) ; Gwenaëlle d’Aboville (Ville ouverte) ; Audrey Delaloy (Groupe SERL) ; Angèle de Lamberterie (urbaniste, Plateau urbain) ; Nicola Delon (architecte, Encore heureux) ; Mathieu Delorme (paysagiste urbaniste, Atelier Georges) ; Xavier Desjardins (professeur, Sorbonne-Université) ; Nicolas Détrie (Yes We Camp, Palmarès des jeunes urbanistes 2020) ; Cécile Diguet (urbaniste) ; Rabia Enckell (Courtoisie urbaine) ; Charlotte Girerd (SNCF Immobilier) ; Jean-Luc Gorce (directeur général d’Aquitanis) ; Antoine Grumbach (architecte, Grand Prix de l’urbanisme 1992) ; Mélusine Hucault (urbaniste, ANMA) ; Lucien Jibert (président de Paris Initiative entreprise) ; Simon Laisney (directeur général de Plateau urbain, Palmarès des jeunes urbanistes 2016) ; Thierry Laroue-Pont (président du directoire de BNP Paribas Real Estate) ; Patrick Levy-Waitz (président de France Tiers-Lieux et de la Fondation Travailler autrement) ; Manon Loisel (CNAM, Partie prenante) ; Pascal Madry (directeur de l’Institut pour la ville et le commerce) ; Ariella Masboungi (architecte urbaniste, Grand Prix de l’urbanisme 2016) ; Fanny Massy (directrice générale de Paris Initiative entreprise) ; Nicolas Michelin (architecte, ANMA) ; Emilie Moreau (Atelier parisien d’urbanisme-APUR) ; Benoît Quignon (directeur général de SNCF Immobilier) ; Sophie Ricard (architecte, Palmarès des jeunes urbanistes 2020) ; Francis Rol-Tanguy (président des Petits Débrouillards) ; Mathias Rouet (urbaniste et enseignant, Plateau urbain, Ecole du paysage de Blois) ; Olivier Selmati (directeur général de La Cipav) ; Flore Trautmann (au nom des associés du Sens de la ville, Palmarès des jeunes urbanistes 2020) ; Pierre Veltz (économiste, Grand Prix de l’urbanisme 2017).
La tribune est en ligne : ici.
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