Révolution numérique et reconfigurations de la chaîne de l’immobilier

Coup de tonnerre ! Le patron de l’innovation, du marketing et des technologies d’Orange vient d’être nommé responsable de la stratégie numérique et membre du comité exécutif du groupe Accor*. Cette nomination illustre la vigueur avec laquelle la révolution numérique vient bouleverser les modèles d’affaires traditionnels et oblige les acteurs de la « vieille économie » à se réinventer.

Le secteur de l’hôtellerie est évidemment particulièrement touché. Ainsi, 30% de l’activité mondiale se fait aujourd’hui par l’intermédiaire d’internet, et 20 à 30% supplémentaires devraient l’être dans les années à venir*. Selon Nicolas Colin, 10 à 25 points de marge sont abandonnés à quelques intermédiaires devenus incontournables**.

Mais, plus largement, ce sont l’ensemble des secteurs économiques qui sont concernés. En particulier la révolution numérique vient accélérer la désintégration des chaînes de valeur. Cette « désintégration de la chaîne de valeur » signifie que les activités créatrices de valeur sont recomposées à l’intérieur de chaque entreprise et entre les entreprises du secteur. Avant, on était dans un système où une même entreprise assurait toutes les étapes d’une chaîne de valeur. Maintenant, comme pour de très nombreux secteurs, on passe désormais à un nouveau système dans lequel cette chaîne intégrée se dissout progressivement, faisant apparaître de nombreux spécialistes d’une des étapes de la chaîne de valeur ajoutée. Tout l’enjeu pour les entreprises est alors de penser leur stratégie de manière à s’adapter à ce modèle déconstruit. Cette analyse a notamment été mise en évidence par le Boston Consulting Group (BCG) qui souligne également que, « aujourd’hui, apparaît une nouvelle force qui accélère la déconstruction des systèmes existants : cette force, c’est celle du consommateur, client ou utilisateur, qui ne se contente plus d’acheter un bien mais participe à son élaboration ».

Le secteur de l’immobilier semble désormais mûr pour connaître une telle évolution. L’examen des nouvelles stratégies relationnelles entre aménageurs et promoteurs (sur lesquelles nous reviendrons en détail dans un article à paraître fin mars) en témoigne. Alors que traditionnellement, l’aménageur assurait toutes les étapes de l’aménagement et le promoteur toutes les étapes de la promotion, on trouve maintenant des promoteurs et des investisseurs qui maîtrisent le foncier en lieu et place de l’aménageur, des collectivités qui choisissent les architectes et imposent les prix de sortie des programmes de logement, voire des habitants qui sont associés à la conception des projets immobiliers !

Surtout, les innovations permises par la révolution numérique créent de nouvelles étapes dans les chaînes de valeur, qui constituent autant de portes d’entrées pour les acteurs qui maîtrisent ces technologies numériques (cf. le domaine de la mobilité électrique, où la fourniture des batteries et celle des infrastructures de recharges constituent de nouvelles étapes de la chaîne de valeur qui permettent à des acteurs non-issus du secteur automobile de se positionner sur cette chaîne, comme par exemple EDF ou RWE – voir ici). Nouveaux entrants, ces entreprises peuvent demain se positionner comme le « maître d’un chaînon » et jouir ainsi d’un contrôle considérable sur le marché. La production des projets urbains est mûre pour connaître des évolutions radicales !

A lire aussi l’article de Nicolas Colin dans le Moniteur : “Un jour Google construira des maisons” :

Un jour, Google construira des maisons parce qu’il en aura assez d’être contraint par la lenteur et la rigidité des acteurs de l’amont. Après avoir sous-traité à des Bouygues, Vinci et Eiffage, il apprendra à construire par eux-mêmes. Les géants de la Silicon Valley ont à ce point du capital qu’ils n’ont pas peur de perdre de l’argent pour apprendre à faire ce qu’ils ne savent pas faire. Regardez le concepteur et constructeur de voitures électriques Tesla, qui a appris en quelques années ce que les constructeurs automobiles traditionnels ont mis plus d’un siècle à apprendre. L’objectif est de ne pas être dépendant de constructeurs qui vont nous ralentir. Peut-être qu’un jour Google rachètera des PME du BTP pour mettre au point un métier “Google bâtiment”. Mais il y aura toute une phase où les grands du BTP essayeront d’entraver la marche en avant du numérique par de la réglementation, ce qui pourrait aboutir à un certain retard en France dans ce domaine.

‘*« Vivek Badrinath, un X Telecom pour rendre Accor plus « mobile » » – Le Monde – 25 février 2014
‘**“Le numérique, talon d’Achille du CAC 40” – Les Echos – 5 juin 2013

Voir aussi notre intervention sur les “smart cities” pour l’Institut de l’entreprise : ici