“Remettre le concepteur urbain dans une position de stratège”
Belle interview dans Cadre de ville de Mathieu Delorme, cofondateur de l’Atelier Georges, avec qui nous préparons un “Manuel d’économie urbaine illustré” (et à qui nous empruntons l’image ci-dessous).
Extraits (c’est nous qui soulignons) :
Cadre de Ville : Quand et comment a été créé l’Atelier Georges ?
Mathieu Delorme : Nous-nous sommes faits connaître lors de la onzième session du concours Europan, en 2011, pour lequel nous avons été retenus comme urbanistes sur le projet de Savenay, à côté de Nantes. Deux ans plus tard, nous sommes lauréats de nouveau du concours Europan, cette fois à Saclay, avec notre projet « lieu(x) de négociation(s). Dès la première année, nous avons précisé nos idées et méthodes de conception, notre vision d’un urbanisme plus économe et ingénieux. C’est ce qui a été distingué au palmarès 2014 des jeunes urbanistes. On aime les sujets complexes, parce qu’on pense qu’il faut autant être créatif sur l’espace que sur le montage opérationnel du projet, c’est-à-dire sur la stratégie d’acteurs et sur l’économie du projet. On est convaincu que le “beau dessin” ou la “belle image” vit ses derniers jours, même si cela ne se fera pas du jour au lendemain. En fait, on cherche à être aussi bon dans le montage du projet que dans le projet lui-même. Nous travaillons en deux étapes : la première l’”écologie de projet” explore, enquête et relie les énergies locales et territoriales. La seconde, “l’économie de projet” consiste à associer de manière simultanée la faisabilité de ce que nous dessinons, aussi bien techniquement, économiquement que politiquement.
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CdV : Qu’est-ce que vous attendez des promoteurs avec qui vous travaillez ?
M. Delorme : Nous parlons directement montage, programmation, équilibres économiques, stratégie d’acteurs et gouvernance avec eux en étant force de proposition : on essaie de voir avec eux en quoi la mécanique opérationnelle peut s’adapter au projet, et non pas comment le projet peut s’adapter au projet économique. Donc on ne travaille pas avec tous les promoteurs. Seulement avec ceux qui acceptent de s’engager dans des démarches exploratoires où la valeur n’est pas que financière. La posture derrière, c’est de dire qu’il ne faut pas laisser aux promoteurs l’exclusivité de la pensée du montage de projets. On aimerait remettre le concepteur dans une position de stratège, de pilote qu’il ne se cantonne pas seulement à une tâche de conception spatiale à laquelle il a été réduite ces dernières années. C’est pour cette raison que nous travaillons à un ouvrage, avec Isabelle Baraud-Serfaty, qui sera consacré à la montée en compétence des concepteurs urbains sur la mécanique économique à l’œuvre aujourd’hui. Il est pensé comme un “manuel illustré de l’économie urbaine” qui fait le constat que le vieux modèle hérité de l’extension urbaine sur les terres agricoles est inopérant. Construire la ville sur la ville nécessite d’autres outils et une bonne connaissance des acteurs de la fabrique urbaine (puissance publique, propriétaires, aménageurs, promoteurs, investisseurs, usagers permanents, usagers temporaires…). On assiste également à une mutation du métier des promoteurs, symbolisée par l’apparition de groupements dans la réponse à la commande publique : tout se mélange, et c’est ça que nous appelons l’urbanisme inclusif, auquel nous avons donné corps sur le site de Montreuil à la dernière session du concours Europan.
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CdV : Y a-t-il encore une place pour les aménageurs dans cette économie de projet urbain ?
M. Delorme : Toute la fabrique de la ville est en recomposition. Nous faisons le constat que l’aménagement de la ville ne peut plus se réduire à une chaîne de valeur linéaire où chaque maillon se rémunère sur la plus-value créée à chaque étape en fonction du marché. Et pourtant c’est cette répartition de la valeur qui est encore convoquée (et enseignée) face à des situations urbaines de plus en plus complexes (friches urbaines, délaissés, milieux habités, pollution des sols…) sans avoir les moyens d’en gérer les aléas, les risques et les temporalités. De nombreuses situations de projets sont en “souffrance” par manque d’outils et de méthodes. Nous devons passer de la chaîne à la constellation d’acteurs. Et les aménageurs ont leur rôle à jouer dans les combinaisons d’acteurs les plus pertinentes.
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L’aménageur doit être plus créatif dans la formalisation du cadre de commande : de la gestion inventive du temps long du projet urbain ainsi que dans le partage du choix où concentrer les énergies / moyens. Nous pensons qu’il serait judicieux aujourd’hui de limiter le nombre de transactions financières qui caractérisent la fabrique de la ville, pour mettre de l’argent dans la qualité urbaine. L’aménageur pourrait être un acteur clé de la montée en compétence des parties prenantes au projet urbain : des habitants aux élus et techniciens.
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A lire également nos précédents billets :
– L’habitant, l’urbaniste et les nouveaux modèles économiques urbains
– Alejandra Aravena – construire 200 demi-bonnes maisons
– De l’architecte-artiste à l’architecte-homme-de-synthèse
– Ville intelligente : où sont passés les architectes ?
– Alexandre Chemetoff ou le budget comme programme
– Argent, en parler ou pas ?