Qui aura les clés de… la « ville clés en main » ?
Le dernier numéro de WE demain publie une ultime interview du PDG d’Eiffage Pierre Berger, accordée peu après la présentation du projet Astanaible, une vision de la ville du futur imaginée pour Astana, la capitale du Kazakhstan.
Il y déclare notamment, à propos de la France :
« On passe dans un nouveau monde et on se voit confier des opérations de plus en plus globales en énergie, climatisation et réseaux télécoms. Aujourd’hui, la part du béton, qui reste stable, ne représente qu’environ 50% de nos 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Les administrations et collectivités locales ont de moins en moins de moyens : nous devons proposer des solutions innovantes et globales, clés en mains ».
« Clés en mains » : cette expression est très intéressante car elle permet de mettre un nom sur la tendance que nous décrivions dans un précédent billet à propos de la consultation sur le lot XXL sur Euroméditerrannée : l’idée que, de plus en plus, les collectivités ou les aménageurs « externalisent » à des opérateurs privés des morceaux de ville de plus en plus intégrés car intégrant justement l’ensemble des composantes sectorielles – aménagement, eau, déchets, énergie, télécoms, etc. – sur des lots de plus en plus importants en termes de taille.
Qui aura les clefs de cette ville doublement coproduite (entre acteurs publics et privés d’une part, entre acteurs privés entre eux d’autre part) ? C’est précisément la question que nous avons posée lors du colloque des Temporelles, à Lyon, sur la ville servicielle. On trouvera la retranscription intégrale de notre intervention sur Millénaire 3, le site de prospective du Grand Lyon, et un extrait, ci-dessous :
La ville intelligente et servicielle devient par conséquent coproduite. Ce qui soulève la question de savoir qui doit la piloter.
Le Boston Consulting Group s’est penché sur la question à travers le secteur de l’automobile. Il a montré qu’auparavant un même constructeur réalisait toutes les étapes de fabrication d’un véhicule, depuis la conception à la vente en passant par la production. Progressivement, de nouvelles étapes sont apparues, avec des intervenants spécialisés. C’est un processus de déconstruction-reconstruction de la chaîne de valeur. Cette dernière se fragmente donc, devenant un puzzle avec de multiples intervenants.
La ville est en train de connaître un phénomène analogue. Le Boston Consulting Group distingue quatre stratégies d’adaptation :
– l’orchestrateur : modèle Virgin, qui pilote l’offre globale, mais recourt à des spécialistes sur chacun des maillons ;
– l’intégrateur : modèle de Procter & Gamble, qui continue à tout réaliser ;
– le désintermédiateur : modèle eBay, qui se place entre l’amont et l’aval pour maitriser le marché;
– le maître d’un chaînon : modèle Intel, qui contrôle une étape stratégique dans un secteur donné.Cette grille de lecture peut être appliquée dans le domaine de la ville. L’intégrateur peut ainsi produire tout un ilot qui sera performant en termes d’énergie et un quartier saisi dans l’ensemble de ses composantes : c’est le projet Smartseille d’Eiffage à Marseille.
Pour l’orchestrateur, nous pouvons citer la SPL Lyon Confluence et Lyon Smart Community : pour la première fois, en 2010, on voyait tout le secteur d’acteurs appelés à intervenir.
En tant que maître d’un chaînon, IBM se positionne sur le créneau du traitement des données. Cette maîtrise des données permet de mettre en relation tous les services de la ville. De la même façon Google avec son projet Sidewalk.
Enfin le modèle désintermédié pourrait sans doute renvoyer à l’alliance entre Vinci et BlablaCar nouée en mars dernier. Les grandes entreprises cherchent à nouer des partenariats avec la multitude.
En tout état de cause, la question du pilotage se pose, en particulier pour les acteurs publics : comment maîtriser ces projets de plus en plus complexes et fragmentés, éviter de se retrouver entre les mains d’un unique opérateur, et quel doit être leur métier et leur positionnement dans la chaîne de valeur ?Un autre sujet est celui de la maille à laquelle doit se construire la ville. Il existe dans ce domaine un double phénomène. Nous avons d’une part une miniaturisation des systèmes techniques, et d’autre part, les périmètres tendent à s’élargir.