Quel tarif pour l’électricité à l’heure de la multitude ?
A lire dans les Echos du 2 juillet la tribune de Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie.
Extraits :
Le monde de l’énergie change. L’arrivée des nouvelles technologies ouvre de nouvelles possibilités aux fournisseurs, aux gestionnaires de réseaux, certes, mais aussi aux consommateurs. 14.000 d’entre eux, soit 0,04 % des 37 millions de clients raccordés, consomment l’électricité qu’ils produisent. C’est encore peu, mais l’effet du développement de l’autoconsommation dans les prochaines décennies est en marche et modifiera profondément notre paysage énergétique.
Signe avant-coureur d’un développement massif : la baisse des coûts de production de l’électricité photovoltaïque. Elle rend envisageable ce qu’on appelle la « parité réseaux », c’est-à-dire le moment où le coût de la production renouvelable devient inférieur au prix de l’électricité qui arrive au consommateur par le réseau. Elle représente l’étape ultime d’un modèle centralisé, avec peu de centrales de production puissantes, vers un modèle décentralisé où chacun produirait l’électricité qu’il consomme.
Précurseur, le cadre législatif se met déjà en place ; la loi du 24 février 2017 donne un statut juridique aux autoconsommateurs. Un arsenal de soutiens est déjà annoncé : tarif d’achat, appel d’offres, aide aux raccordements. Mais ce foisonnement futur d’initiatives mérite un point d’alerte. Attention aux effets d’aubaine, qui conduiraient à un communautarisme énergétique nuisible à notre système électrique. Sous le prétexte de transition énergétique et de promotion de valeurs environnementales, ne détricotons pas le maillage de nos réseaux d’électricité qui garantissent la sécurité d’approvisionnement à un prix unique sur l’ensemble du territoire.
Cet avenir frappe à notre porte, il nous faut le construire ensemble. Il faut bâtir un socle stable à ce nouvel édifice pour guider la participation citoyenne à la production d’énergie. Toute la question est donc d’anticiper puis d’accompagner le développement de l’autoconsommation et ses répercussions tarifaires et technologiques face aux contraintes démographiques et sociologiques du territoire. C’est la tâche que nous confie la loi. C’est à la Commision de régulation de l’énergie d’établir les tarifs des réseaux publics de distribution d’électricité pour les consommateurs participant à des opérations d’autoconsommation.
L’exercice s’annonce difficile, les attentes des uns et des autres sont contradictoires. Les acteurs de la filière attendent un tarif réduit de réseau pour encourager le développement de l’autoconsommation. De leur côté, les opérateurs de réseau craignent que des acteurs échappent au tarif et demandent un tarif avec une forte part fixe, ce qui augmenterait le tarif des autoconsommateurs rapporté à la consommation réalisée.
Dans ce débat, la CRE est devant une page blanche : il lui faut définir un tarif de réseau qui reflète les coûts engendrés par les autoconsommateurs comprenant aussi les coûts liés à la solidarité entre tous les utilisateurs. Tout cela pourrait dépendre du profil d’utilisation des réseaux. Par exemple, l’autoconsommateur équipé d’une installation de stockage a la possibilité d’utiliser son électricité aux heures creuses. Cet avantage devra-il être pris en compte pour bénéficier d’un tarif moins élevé ?
Autre interrogation : sur le plan juridique, quel modèle adopter ? Les autoconsommateurs ont aujourd’hui trois contrats : un pour l’approvisionnement avec un fournisseur, un pour la vente des surplus de production et un avec le gestionnaire de réseau. Ne faut-il pas simplifier et passer au contrat unique ?
Tout le dispositif des aides est également à reconsidérer pour empêcher des effets d’aubaine massifs qui pèseraient au final sur la facture de chacun, et diminuer les assiettes fiscales possibles. Il faut donner à ce véritable sujet de société naissant toute l’importance qu’il mérite. Il s’agit de réfléchir ensemble si le développement inéluctable de l’autoconsommation peut être maîtrisé au profit de tous, ou s’il nous conduira, au contraire, à mettre en cause les valeurs d’équité et de solidarité qui fondent heureusement notre modèle énergétique depuis 1946.
Source : “L’autoconsommation ne doit pas nuire à nos réseaux d’électricité”. Les Echos – 2 juillet 2017
A lire également nos précédents billets :
– Financer la ville à l’heure de la révolution numérique
– La transition énergétique vue par le prisme du CAC 40
– Black out