Quand les investisseurs réorientent leurs investissements ! (Exemples d’Axa et de l’université d’Oxford)
Ce billet a été écrit par Sarah Fryde, étudiante en khâgne.
Les enjeux sanitaires et écologiques sont désormais pris en compte par les investisseurs et ont de lourds retentissements sur leurs choix stratégiques. Ils ne veulent plus cautionner des entreprises en contradiction avec leurs idéaux politiques et moraux.
Axa arrête de fumer.
La société a annoncé le dimanche 22 mai « sa décision de ne plus investir chez les fabricants de cigarettes que ce soit sous forme d’actions ou d’obligations. » (1) L’annonce a été faite à Genève par Thomas Buberl le nouveau patron du groupe. « Pour un assureur-santé, c’est un non-sens de continuer à investir dans le tabac, alors que nous menons une politique de prévention auprès de nos clients » estime le successeur d’Henri de Castries. (…) Nous espérons que notre initiative sera suivie par d’autres groupes. » (1) Ce projet témoigne d’une certaine urgence : c’est la première initiative publique de T. Buberl après avoir été porté aux commandes d’Axa il y a à peine deux mois. Axa est le premier assureur à s’engager dans cette voie.
Concrètement, cela signifie que l’entreprise va « céder immédiatement en Bourse les 200 millions d’euros d’actions qu’elle possède dans les entreprises du tabac. Elle laissera les obligations aller jusqu’à leur échéance, soit au maximum jusqu’en 2027, la moitié arrivant à terme en 2021. » (1)
Le portefeuille d’obligations d’Axa avant le 22 mai.
Pour T. Buberl : « l’important c’est le signal que nous envoyons, en décidant de ne plus investir dans cette industrie (…) nous ne voulons plus être un simple payeur de facture mais un acteur dans le domaine de la santé en développant la prévention » (2)
C’est une jeune médecin cancérologue australienne, Bronwyn King qui a convaincu Axa de se désengager de cette industrie. Après avoir fondé une association « The Tobacco free portfolio », la cancérologue a convaincu, en l’espace de six ans, près de la moitié des fonds australiens de se retirer de l’industrie du tabac. Fort de son succès elle s’est ensuite tournée vers la France avec un argument fort « Investiriez vous dans une entreprise qui tue six millions de personnes par an ? » (2)
Le retard dans la prise de décision peut s’expliquer par la rentabilité des entreprises du secteur, supérieure à la moyenne. T. Buberl : « par ce désinvestissement du tabac, nous prenons notre part et soutenons les efforts des gouvernements du monde entier » (2). Se concrétise alors la volonté d’AXA d’être un « acteur écouté dans la santé, un domaine dans lequel le groupe entend privilégier la prévention et s’appuyer sur l’évolution technologique » (2).
Mais si le projet d’AXA est un succès, certains investisseurs se montrent toujours hostiles à certains changements.
Oxford, un fond d’investissement en plein conflit moral.
Au Etats-Unis, un mouvement « Fossil Free » milite pour le retrait immédiat de « tous les investissements dans le charbon et les sables bitumeux » et le désinvestissement « d’ici cinq ans, de toutes les énergies fossiles. » (3)
– Un argument écologique : ne pas participer activement au réchauffement climatique
– Un argument financier : « les énergies fossiles vont être de moins en moins rentables au moins à long terme » (3).
Depuis quelques mois, les succès, même partiels, de cette campagne de désinvestissement se multiplient. En septembre 2014, les héritiers de Rockefeller ont décidé de retirer leurs investissements dans ce secteur. En février, l’énorme fond souverain norvégien (800 milliards d’euros) « a vendu sa participation dans les mines de charbon, tout en augmentant ses investissements dans le pétrole ». L’ironie est évidente, la Norvège et la famille Rockefeller tirant leur fortune des hydrocarbures.
Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni les universités possèdent des fonds d’investissement qui s’élèvent à 410 milliards d’euros et dont 2% à 5% sont investis dans l’énergie fossile selon une étude de Smith School of Enterprise and the Environment (3). Cela correspond à des sommes comprises entre 8,2 et 20,5 milliards d’euros. Suite au mouvement « Fossil Free », Stanford, en 2014, a été la première université à se retirer des compagnies minières de charbon. L’université de Glasgow a suivi peu de temps après. Le débat a ensuite gagné Oxford : une pétition, demandant à la prestigieuse université anglaise de céder ses participations dans les énergies fossiles, a été signée par 2000 étudiants, une centaine de professeurs et 500 anciens étudiants.
Pour Oxford, le fonds d’investissement s’élève à 3,8 milliards de livres soit 5,3 milliards d’euros. Moins de 1% de cette somme (soit moins de 53 millions d’euros) est investi dans le charbon et les sables bitumeux. Ce retrait ne serait donc que symbolique : « l’objectif n’est pas de pousser ces entreprises à la faillite financière mais à la faillite morale » (3) réplique Samuel Brook un étudiant qui milite à Fossil Free.
Cependant, le 16 mars 2015, le conseil d’administration a décidé de repousser sa décision. Même si cela représente un échec en soit, certains s’enthousiasment du fait que la discussion soit montée aussi haut et qu’elle provoque une telle controverse : cela indique que leur campagne prend de l’ampleur
Sources :
– (1) « Axa n’investira plus dans l’industrie du tabac » – Dominique Gallois – Le Monde 24 mai 2016 ;
– (2) Axa se désengage de l’industrie du tabac » – Dominique Gallois – Le Monde, 24 mai 2016 ;
– (3) Oxford prié de « verdir » ses investissements » – Eric Albert – Le Monde 18 mars 2015.