Penser simultanément le projet et les conditions du projet
Il faut penser simultanément le projet et les conditions du projet. Cette conviction, qui est au fondement du travail d’ibicity et que nous partageons avec l’Atelier Georges, est de fait au coeur de l’ouvrage qu’il vient de publier avec Mathias Rollot aux éditions Hyperville : “L’hypothèse collaborative”. Sous-titré “conversation avec les collectifs d’architectes français”, on y retrouve notamment des retranscriptions d’entretien avec des collectifs (Encore Heureux, Bellastock, Etc, Echelle inconnue (qui, à la rubrique “distinction/récompense” mentionne : “expulsion de l’exposition SMLXL de Rem Koolhaas”), ANPU, Yes We Camp, etc.) et des points de vue d’experts (Paul Citron, Cécile Diguet, Marion Waller, etc.).
Quelques extraits :
“Dernièrement, on est beaucoup approché par des gros groupes de promotion immobilière, et là on est beaucoup plus réticent, car on met une limite à ne pas travailler pour quelqu’un qui va vendre juste après avoir construit. S’il s’agit de nous faire intervenir dans la phase d’avant-vente, pour créer de l’attractivité et déminer le rapport au voisinage, s’il n’y a pas de continuité dans les usages et qu’ils comptent vendre le terrain au plus offrant, alors ça ne nous intéresse pas. Ce serait différent avec un promoteur dont on sait qu’il sera l’exploitant du site sur le long terme. On pourrait travailler ensemble car ce que l’on proposera aura une place dans la suite.” Yes We Camp.
“Comme le soulignent Nathalie Mercier et Joëlle Zetlaoui-Leger, “Programme” vient du grec “programma” et signifie étymologiquement “ce qui est écrit à l’avance”. Les collectifs évoqués ici bousculent la notion même de programme, puisqu’il s’écrit en avançant, et non pas à l’avance. (…) Leur mission n’est pas définie dans un cahier des charges clos et bordé, elle s’invente en permanence. Cette liberté est aussi une complexité. Elle exige de perpétuellement se remettre en cause, d’avancer avec le projet autour, de faire évoluer son rôle”. Cécile Diguet.
“Le dernier enjeu, c’est de faire face à la crise : pas la crise économique, urbaine, qui engendre déjà des crises sociales et que l’on ne parviendra à résoudre qu’en prenant du recul sur les impératifs de croissance ou de rentabilité. Les collectifs, grâce à une économie de projet “frugale” et un positionnement écologique au sens large, proposent une approche hétérodoxe de la ville et du projet. C’est là leur marque de fabrique. Cette posture génère une valorisation extra-économique, qui crédibilise là encore cette démarche, car on voit que l’on peut faire aussi bien, voire mieux, avec moins. C’est le parallèle entre l’action des collectifs et celle de Plateau Urbain : poser les conditions économiques et organisationnelles de réalisation de l’alternative. En arrivant à proposer des “servitudes d’espaces non-marchands”, à l’image des servitudes de passage, on encourage la construction de l’alternative, donc du futur. Le “deal” est le suivant : utiliser ou produire des espaces (publics ou privés) de manière non conventionnelle et s’engager à proposer en échange une situation qui ne rentre pas dans un schéma classique de valorisation, mais qui génère des externalités positives. Valoriser ces externalités, les rendre possibles, c’est une autre manière de crédibiliser l’action de la société civile. C’est aussi une manière de réfléchir à l’avenir, et de le faire collectivement”. Paul Citron.
“C’est rétrospectivement la crise financière de 2008 qui a été un moment révélateur : les politiques d’austérité qu’elle a entraînées mais aussi le constat des limites d’un modèle dérégulé – de la toute puissance de l’économie. Faute de pouvoir agir sur les grands mécanismes économiques ou politiques, ils ont choisi le local, le quotidien, le voisin pour mener des actions de terrain et ça a provoqué non seulement une prise de conscience individuelle mais aussi des discussions collectives (à l’image du mouvement Occupy). Ce qui est intéressant, c’est que ces actions locales sont très largement relayées à l’international grâce aux réseaux sociaux et aux moyens de communication. Ainsi, même si ces actions sont ultra-locales, elles trouvent un écho global très rapidement. Le sujet central, c’est la question de l’économie, comment trouver une économie qui permette de garder cet esprit d’indépendance sur le long terme ?”. Flavien Menu.
A lire et… à écouter sur Radio Georges : ici.
A lire également notre billet : « Remettre le concepteur urbain dans une position de stratège »