Nouveaux compromis urbains et rue
A écouter l’intervention de Jean-Marc Offner, directeur de l’Agence d’Urbanisme de Bordeaux Aquitaine, qui s’est tenue le 19 janvier 2021 lors du colloque François Ascher : ici.
Toute l’intervention est à écouter, mais on a particulièrement retenu ses propos sur le trottoir et la gouvernance de la rue, à partir de la 24ème minute :
“On voit bien dans les discours politiques comment, implicitement, se réorganisent les équilibres entre ce : qu’on fait chez soi, ce qui vient à soi, la ville chez soi ; la ville en bas de chez soi, la fameuse ville des courtes distances, la ville du voisinage, du quartier, de la proximité ; et puis la ville au loin.
il me semble que si on a cette grille d’analyse, on peut arriver à dire des choses plutôt intéressantes et plutôt stratégiques par rapport à une vision un peu trop transport de ces questions. Là, on est bien dans des compromis à remettre en débat. Et c’est pour ça que j’aurais intitulé ma conférence sur la mobilité : « du droit à la mobilité au droit à l’accès », l’accès étant une façon de réintroduire dans les questions de mobilité une manière de développer un programme d’activités qui peut avoir d’autres dimensions que le seul déplacement.
Sur ces affaires de mobilité, mais je vais passer plus vite, j ‘aurais aimé vous parler du trottoir, le trottoir où se joue aujourd’hui peut-être une bonne partie de l’avenir de nos villes. Moi, je parle des rues métropolitaines, qui sont un enjeu majeur pour la transition écologique, mais aussi pour la transition numérique. Isabelle Baraud-Serfaty, qui est économiste, a des réflexions malignes sur le sujet en disant que la bordure de trottoir c’est l’actif urbain le plus convoité. Alors, la smart city est un peu oubliée ; je pense qu’elle pourrait mettre son panneau « fermé pour inventaire ». Mais le numérique est là, et cette fameuse application de géolocalisation a refait de l’espace public un espace d’interaction, et de nouvelles manières d’interagir. Et donc il s’y passe beaucoup de choses et il devrait s’y passer beaucoup de choses aussi en ce qui concerne la biodiversité, en ce qui concerne ces fameuses recherches d’apaisement, et tout ce qu’il y a à voir avec la manière de réinventer une vie urbaine à l’heure de nos sociétés contemporaines hypermodernes. On peut faire référence aussi à la question des rez-de-chaussée qui a été appréhendée par David Mangin et que vous retrouverez facilement dans un récent numéro d’urbanisme. Vous avez compris qu’il faut lire Urbanisme aussi, c’est important d’avoir des revues comme celle-là pour s’acculturer à toutes ces questions.
Ce qui est très intéressant à propos de François [Ascher], c’est que j’ai retrouvé un texte auquel je n’avais pas fait attention, qu’Ariella [Masboungi] a eu la bonne idée de mettre dans le livre « Organiser la ville hypermoderne », le livre du Grand Prix de l’Urbanisme. C’est un petit texte qui s’appelle « de la gouvernance des métropoles à la gouvernance des rues ». François disait : « Evidemment, les rues sont polyvalentes – encore on revient à Cerdà : mouvement, sédentarité. Et cette articulation, cette multifonctionnalité, il faut qu’elles soient gouvernées, il faut qu’elles soient pilotées”. Dans le Grenelle des mobilités de Bordeaux, on a inventé les grandes allées métropolitaines. Non seulement il faut avoir des voiries qui trouvent des compromis entre les trafics de transit et les trafics locaux, entre les activités riveraines et les activités de circulation. Mais il faut aussi essayer de faire cohabiter des vitesses lentes et des vitesses rapides. Et ça, on ne sait pas faire. On sait faire techniquement, mais on ne sait pas faire institutionnellement, parce qu’on n’a pas cette gouvernance des rues et des voiries. Et c’est le dernier point sur lequel je vais insister en matière de mobilité, parce que, justement, on n’a pas ce qu’il faut pour organiser les débats autour de ces compromis. On n’a pas les bonnes scènes de débat sur ce sujet. Je vous renvoie, je n’ai pas la couverture à vous proposer là, mais je vous renvoie au futur numéro d’Urbanisme où j’ai fait un article qui s’appelle « politique de mobilité, un système de pensée et d’action inopérant ». Je résume très rapidement l’affaire, mais elle est d’importance : grosso modo, quand on veut parler « mobilité », on vous répond « déplacements ». Quand on veut parler « déplacements », on vous répond « transports ». Et quand on veut parler « transports », on vous répond « transports collectifs ». Il y a eu, j’ai employé l’expression de « hold-up sémantique », de la part des autorités organisatrices, de la part du monde technico-politique des transports collectifs pour s’emparer des questions de mobilité et se faire appeler « autorités organisatrices de mobilité ». L’essentiel des enjeux de la mobilité sont ailleurs, même s’il faut bien-sûr s’occuper des transports collectifs. Et ce ailleurs, personne ne s’en occupe. Ce qui est quand même un peu embêtant, mais je ne doute pas que la lecture de la revue Urbanisme éclairera là-dessus nos décideurs”.
On le remercie de nous citer, mais c’est surtout une invitation à effectuer les lectures qu’il nous recommande.