Maires des grandes villes du monde, ne laissez pas les habitants se garer gratuitement dans la rue !
Le magazine The Economist n’est pas à proprement parler ce qu’on pourrait appeler une revue d’urbanisme… Et pourtant, il consacre quatre pages d’analyse très fouillée à l’enjeu du stationnement dans les grandes villes du monde… que tous les urbanistes devraient s’empresser de lire.
Il insiste d’abord sur le fait que les règles de stationnement déterminent la physionomie des villes, bien plus que le transport public, les pistes cyclables, ou l’élégante architecture. Souvent très généreuses, comme les “parkings minimums” aux Etats-Unis, elles créent des déserts d’asphalte.
Surtout, l’article fait le constat que le stationnement sur voirie est quasiment gratuit pour les résidents dans la plupart des villes du monde, et insiste sur l’ineptie que cela constitue. “Don’t let people park for free !“, exhorte l’article. Avec 5 arguments :
– le stationnement gratuit aggrave le trafic automobile. Le décalage entre le prix (très faible) du stationnement sur voirie et le prix (prix de marché) du stationnement dans un garage incite les gens à rechercher une place. Et cette recherche de place est une cause majeure du trafic automobile. Le record serait détenu par la ville de Fribourg, en Allemagne, où 74% des voitures en circulation seraient à la recherche d’une place où se garer.
– le stationnement gratuit freine l’innovation dans les transports : “une autre raison de faire payer pleinement le parking est que cela accélèrera la révolution du transport. (…) Un autre avantage des voitures autonomes est qu’elles n’ont pas besoin de se garer – mais ce n’est une opportunité que là où se garer coûte”. (*)
– le stationnement gratuit renchérit le coût de l’immobilier. Par exemple, il contribue à augmenter des deux-tiers le coût d’un centre-commercial à Los Angeles – et presque du double s’il s’agit de parking en ouvrage.
– le stationnement gratuit est injuste : “Le stationnement gratuit, bien-sûr, n’est pas réellement gratuit. Le coût de construction des parcs de stationnement, ainsi que leur entretien, éclairage, maintenance et mise en sécurité sont transférés aux utilisateurs des bâtiments auxquels ils sont rattachés. Les prix des repas dans les restaurants ou des tickets de cinéma sont plus élevés ; les logements sont plus chers ; les salariés des bureaux sont vraisemblablement moins bien payés. Tout le monde paye, qu’il conduise ou pas. Et ceci a une effet de redistribution indésirable, car les personnes jeunes conduisent un peu moins que les personnes plus âgées et les pauvres moins que les riches. En Amérique 17% des Noirs et 12% des Hispaniques qui vivent dans les grandes villes prenaient régulièrement le transport public pour aller travailler en 2012, alors que 7% des Blancs le faisaient. Le stationnement gratuit représente une subvention pour les personnes âgées qui est payée de manière disproportionnée par les jeunes et une subvention pour les riches par les pauvres“.(**)
– le stationnement gratuit prive les villes d’une ressource potentiellement élevée. Dans une zone avec une forte demande, les revenus peuvent être très importants. Les gouvernements locaux pourraient dépenser cet argent comme ils le souhaitent, dans des beaux jardins comme dans des forces de sécurité (***).
Et le journal de conclure que beaucoup de villes occidentales sont déjà façonnées par des parkings, à des prix dérisoires, en nombre excessif, mais que ce n’est pas trop tard pour les villes d’Asie et d’Afrique qui pourraient être les grandes métropoles de ce siècle. Dans la plupart, les conducteurs de voiture n’y dictent pas encore les lois de planification urbaine, et les résidents ne sont pas encore habitués aux parkings gratuits. Aussi, déployez les parcmètres et les pervenches. Les villes doivent être pour les personnes, pas pour des caisses de métal immobiles (****).
Cet article rejoint plusieurs de nos convictions :
– il faut révéler les péréquations invisibles dans la ville, de même qu’il faut repenser le modèle économique des espaces publics (cf. notre étude sur les nouveaux modèles économiques urbains, ici, et notre article dans Futuribles : “la ville restera-t-elle gratuite ?”, ici)
– l’organisation du stationnement présente, en une sorte de condensé, un aperçu de l’ensemble des nouvelles problématiques de l’économie urbaine (lire ici notre article sur “la nouvelle économie du stationnement”, paru dans la Revue Foncière en 2014 (ici), téléchargeable ici).
Dans tous les cas, en France, cette réflexion va être d’actualité avec la dépénalisation du stationnement, et les nouvelles libertés de tarification laissées aux maires. A suivre donc !
A lire également nos précédents billets qui traitent du stationnement, notamment :
– Data-driven cities ?
– Polly ou la fée du parking
Sources :
“Aparkalypse now” – The Economist – April 8th 2017
“Sacred spaces” – The Economist – Apri 8th 2017
(*) traduction ibicity. Extrait du texte original : “Another reason to charge fully for parking is that it will speed a welcome transport revolution. If self-driving cars are eventually allowed to trundle around by themselves, picking up and dropping off person after person, they might render many car parks unnecessary. That would be wonderful. But this future will arrive more quickly if governments raise the price of parking. Autonomous vehicles will be nice for everyone, because they will let people get on with something worthwhile as they travel. But another big advantage is that they need not be parked—which is only a boon where parking costs money”.
(**) traduction ibicity. Texte original : “Free parking is not, of course, really free. The costs of building the car parks, as well as cleaning, lighting, repairing and securing them, are passed on to the people who use the buildings to which they are attached. Restaurant meals and cinema tickets are more pricey; flats are more expensive; office workers are presumably paid less. Everybody pays, whether or not they drive. And that has an unfortunate distributional effect, because young people drive a little less than the middle-aged and the poor drive less than the rich. In America, 17% of blacks and 12% of Hispanics who lived in big cities usually took public transport to work in 2013, whereas 7% of whites did. Free parking represents a subsidy for older people that is paid disproportionately by the young and a subsidy for the wealthy that is paid by the poor”.
(***) traduction ibicity. Extrait du texte original : “Cities should stop trying to increase the supply of parking and rigging the market in favour of homeowners. Instead, they should raise prices until the streets and the car parks are nearly, but not quite, full – and charge everybody. Residents will complain about the loss of their privileges. But if they live in a area of high demand, the revenues from the streets will be enormous. Local governments could spend the money on whatever they like, from beautiful gardens to security guards”.
(****) traduction ibicity. Texte original : “Many Western cities have already been bent out of shape by excessive, poorly priced parking. But it is not too late for the African and Asian cities that could be this century’s great metropolises. In most, driving is not yet so widespread that motorists can dictate planning rules, and residents are not used to free parking. So roll out the meters and the wardens. Cities should be for people, not for stationary metal boxes”.