Logement, cuisine, éclairage, mobilité, chaussures… quand tout devient service !

Nous avions déjà évoqué dans ce blog : le logement comme service, le quartier comme service, l’espace comme service, la proximité comme service, la rue comme service, et bien-sûr la mobilité comme service (the famous MAAS : mobility as a service). Nous avions même travaillé il y a quelques années avec une des plus grandes entreprises françaises sur “X as a service” (Everything as a service), dans le prolongement de notre Etude sur les nouveaux modèles économiques urbains, où l’économie de la souscription était analysée comme un des axes de transformation majeurs de l’économie (avec des conséquences majeures en termes de modèles de tarification).

C’est donc avec grand intérêt que nous avons lu dans Les Echos de ce 19 septembre 2022 l’analyse de Jean-Marc Vittori, “Quand tout devient service“, laquelle s’appuie sur l’étude réalisée par la CCI Paris Ile-de-France en juillet 2022.

Extraits de l’article des Echos

Etes-vous sûr d’avoir vraiment besoin d’acheter une voiture ? Ce qui compte, ce qui vous est vraiment utile, c’est d’avoir une voiture qui marche à un moment donné. Le plus souvent pour faire un parcours déterminé. Dans des conditions minimales de confort et, pourquoi pas, d’efficacité énergétique. Bref, ce qui compte, ce n’est pas le produit, mais l’usage. Voire la performance de l’usage. C’est devenu encore plus évident avec les deux années de pandémie, les ruptures d’approvisionnement et la flambée brutale de certains prix qui ont rendu souvent plus difficile l’achat de produits.

Le passage du produit au service n’est bien sûr pas nouveau. La location de voitures existe depuis des décennies. Amazon gagne bien davantage en proposant des prestations de stockage de données numériques qu’en vendant des disques durs d’ordinateur. Microsoft fait de plus en plus payer ses logiciels au mois et non plus à l’achat. Après avoir longtemps fourni des pneus aux compagnies aériennes, Michelin peut désormais leur facturer des atterrissages sur le premier matériau de l’avion à rentrer en contact avec la piste.

Mais si la tendance n’est pas nouvelle, les outils numériques permettent d’aller infiniment plus loin en multipliant la collecte, la circulation et le traitement d’informations. C’est l’offre tout entière qui est ainsi réinventée. Pour beaucoup d’entreprises, c’est une transformation majeure. La Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Ile-de-France a eu l’excellente idée de faire un tour d’horizon sur cette « servicisation » de l’économie. Il en ressort deux leçons. La première est microéconomique : c’est l’ampleur du mouvement. Tous les secteurs ou presque sont concernés. La seconde est macroéconomique : les effets de la transformation bousculent des équilibres anciens. Et vont ébranler jusqu’à la nature même du capitalisme.

L’ampleur du changement ? Tout ou presque peut devenir la base d’un service. Un produit bien sûr, mais aussi un espace, un actif immatériel, une infrastructure ou même un résultat. Les Anglo-Saxons emploient l’expression « as a service » (« software as a service », « mobility as a service », « equipment as a service »)…

Cette façon de servir le client change en profondeur la façon dont les entreprises travaillent. Celles qui proposent une prestation « en tant que service » doivent coconstruire l’offre avec son acheteur pour pouvoir lui vendre une performance, ce qui suppose de s’inscrire dans une relation de long terme. Elles doivent aussi facturer autrement, ce qui peut constituer un point de blocage (comment mesurer la performance, comment ensuite la partager ?).

Le client, lui, remplace souvent des dépenses d’investissement par des dépenses courantes. Il transfère aussi une partie de ses risques opérationnels vers ses fournisseurs. Au-delà, il déstructure son activité, il redéfinit les contours de son entreprise pour se concentrer sur ce qu’il considère comme son coeur de métier. Pour prendre un exemple simple, la cuisine « en tant que service » sépare la cuisine proprement dite du transport (confié non plus à un serveur mais à un opérateur extérieur comme Deliveroo ou Uber) et du lieu de consommation (qui passe de la salle du restaurant au domicile du consommateur). Symétriquement, leurs clients sont plus contraints. Avant, quand un amateur de musique subissait une baisse de revenus, il pouvait suspendre ses achats de 33-tours ou CD tout en continuant d’écouter son stock d’albums. Aujourd’hui, s’il est devenu client de Deezer ou Spotify, il est condamné à payer chaque mois, ou à écouter de la pub, ou à se priver de musique. Les « dépenses pré-engagées » pèsent de plus en plus lourd dans le budget des ménages.

Les entreprises qui basculent d’un métier classique vers une offre « as a service » troquent des ventes au coup par coup par un chiffre d’affaires récurrent. Elles deviennent ainsi plus solides – et ce pourrait même être l’une des causes de leur valeur élevée.

Au-delà des entreprises et de leurs clients, c’est le système économique dans son ensemble qui est transformé. Car avec le « serviciel », le capital (matériel ou immatériel) est beaucoup mieux utilisé – ce qui est bon aussi pour la planète. Et ce capital n’appartient plus au capitaliste qui l’exploite. C’est donc le capitalisme lui-même qui est transfiguré.

Etude de la CCI : « Quand les produits se transforment en services. La révolution silencieuse des modèles serviciels », CCI Paris Ile-de-France, juillet 2022.

Pour confirmer l’hypothèse d’une servicialisation de l’économie, on pourra lire l’article des Echos du 14 septembre 2022 : “Avec Amazon, le livre audio s’oriente vers un modèle à la Netflix“. Et aussi l’article dans les Echos de ce jour sur “On Running”, la marque de chaussures de sport vantée par Roger Federer (cf. notre billet “Quand les piétons auront des chaussures sur abonnement”), qui montre que le “as-a-service” peut se mettre au service (c’est le cas de le dire !) de la transition écologique : “On Running fabrique des baskets à partir d’émissions de CO2“.

Et puisque les piétons ont le plus souvent des chaussures (sur abonnement ou pas), on signale également l’article du Monde : “Comment les piétons investissent les villes“, de Olivier Razemon, Marjolaine Koch, Mathilde Costil, Marianne Pasquier, Joséfa Lopez et Emmanuel Davidenkoff.

A lire également notre billet sur l’évolution de la cuisine, de l’extérieur à l’intérieur du logement, et vice-et-verça : ici.

Et notre article (qui date un peu mais qu’on aime bien) sur l’art de composer des bouquets de service : .

 

Rajout du 20 septembre 2022  : la lettre de 15 marches sur ce sujet : “Ne me vendez pas des choses“.