Nous publions aujourd’hui le rapport de saison 3 de notre étude sur les nouveaux modèles économiques urbains. Comme pour les saisons 1 et 2, ce rapport, co-réalisé par ibicity, Partie Prenante et Espelia, est financé par l’ADEME avec le soutien de la Banque des Territoires et du PUCA. Il est feuilletable ici et téléchargeable là.
Ce rapport s’appuie notamment sur un travail partenarial avec les métropoles de Nantes, Rennes et Lyon qui a eu lieu au cours de l’année 2019 autour de neuf zooms thématiques.
La rédaction du rapport a été achevée début mars 2020… juste avant donc que n’éclate la crise du Covid.
Au risque de tomber dans un travers assez répandu qui voit chacun conforté dans ses analyses d’avant la crise par la crise, il nous semble que les quelques semaines qui viennent de s’écouler depuis l’annonce du confinement le 16 mars confirment au moins deux éléments.
Première confirmation : les « axes de transformation » que nous avons utilisés comme outils pour penser les changements liés aux transitions numériques environnementales et sociales restent largement pertinents.
L’axe « #temps-réel » est sans doute celui qui caractérise le plus la crise actuelle, avec des décisions politiques (de confinement ou déconfinement par exemple) qui sont prises « jusqu’à nouvel ordre », et des mesures de distanciation physique (couvre-feu, autorisation de sortie sportive) qui ont varié ou varient selon les heures de la journée. Sur ce sujet de l'urbanisme tactique (même s'il n'épuise pas la question du #temps-réel), on lira avec intérêt les comptes twitter de Mathieu Chassignet et d’Adrien Lelièvre, ainsi que l’article « Pour se réinventer, les villes devraient prendre la clé des temps », de Luc Gwiazdzinski, Sylvain Grisot, et Benjamin Pradel (Libération – 5 mai 2020).
L’axe « #sur-mesure » est particulièrement interpellé. Car le confinement pour tous est le contraire du #sur-mesure quand seuls les malades contagieux « posent problème ». Alors que le traçage numérique pourrait permettre d’introduire du #sur-mesure et de sortir des approches par cohortes actuellement évoquées (par exemple, "les habitants de telle région ou de telle classe d’âge seront déconfinés en premier"), les débats qui entourent sa mise en oeuvre soulignent les multiples questions que soulève cette possibilité de faire du #sur-mesure via les outils numériques.
L’axe « #multitude » reste pertinent, quoique peut-être moins opérant à ce stade pour traverser la crise : la somme des chambres et des cuisines des habitants est devenue une nouvelle infrastructure de bureaux ou d’équipements scolaires. Peut-être peut-on aussi considérer que le fait qu’il y ait désormais « 66 millions d’infectiologues en France » et d’omni-spécialistes contribue à repenser les conditions de la décision politique.
L’axe « #échelles » est apparu comme un axe-clé mais à affiner. Alors que la crise marquerait pour certains le grand retour du local et des circuits courts, il nous semble que notre invitation à penser simultanément le local et le global reste juste, ne serait-ce que parce que le rôle des plates-formes numériques transnationales n’a jamais été aussi élevé (cf. la place prise par les outils numériques de visio-conférences dont aucun n’est européen). En revanche, nous nous sommes trompés sur la disparition de l’échelle intermédiaire (l’Etat), et il nous faut sans doute mieux formuler l’abolition des distances physiques que permet le numérique (le télé-travail, la télé-médecine, le télé-enseignement, etc.).
Enfin, l’axe « hybridation » mérite qu’on s’y arrête. D’un côté, on assiste au grand retour des secteurs : les soutiens à l’économie se font par catégorie sectorielle. De l’autre, la crise met surtout en évidence les imbrications et des interdépendances entre activités. Le mot « chaîne » ("chaîne de valeur") n’a jamais été autant utilisé et le Ministre de l’économie indiquait d’ailleurs (Le Monde, 26 mars 2020) : « il est impossible de définir une activité autorisée. Sitôt publiée, la liste doit être revue. Pour vendre un litre de lait, il faut des camions, des routes, du BTP, des garages, de l’électricité, tout est imbriqué ».
Il sera donc utile, dans les prochains mois, d’affiner nos axes de transformation. Mais ils devraient continuer à outiller les collectivités dans l'identification des nouveaux entrants de l'action publique métropolitaine - avec certains qui se voient fragilisés par la crise actuelle quand d'autres sont renforcés.
Deuxième confirmation : de plus en plus, les métropoles doivent et devront gouverner des écosystèmes urbains. En lien avec le renforcement de l’hybridation que nous évoquions, la crise renforce en effet les écosystèmes urbains :
Avec la crise, le brouillage entre public et privé se renforce : les activités qui ont pu se poursuivre pendant le confinement sont les activités « essentielles ». Ce distinguo « activités essentielles / activités non essentielles » constitue une nouvelle boussole de l’action publique, bien plus que le distinguo habituel « activité publique, activité privée ».
Avec la crise, le nombre et la diversité des acteurs avec lesquels les métropoles doivent travailler se renforcent. Car de nombreux acteurs sont essentiels aux services urbains : les opérateurs de télécommunication, les réparateurs de vélos ou d’ordinateur, les associations d’aide aux personnes sans abri ou en difficulté, les livreurs de repas ou de colis. Et plus encore qu’auparavant, la place des plates-formes numériques s’accentue, qu’il s’agisse de Google ou d’Amazon, mais aussi des plates-formes en train d’émerger dans le e-travail, la e-santé, le e-learning, le e-sport.
Avec la crise, enfin, le caractère mouvant et incertain des écosystèmes s'accentue. L’incertitude domine.
(NB : Sur cette importance des écosystèmes urbains, on lira avec intérêt l’article « Vivre avec la crise : quels enseignements pour les politiques territoriales ? » publié hier par la Coopérative Acadie sur le site de Terra Nova. Même si les auteurs n’emploient pas ce terme d’ « écosystème », c’est bien de fait cette nouvelle configuration d’acteurs qu’ils décrivent).
Nous croyons ainsi que notre "rapport orange" pourra utilement aider les collectivités locales dans la situation actuelle. Nous l’espérons d’autant plus vivement que la contraction des budgets locaux, qui était un des points de départ de cette étude, va assurément se renforcer dans les prochains mois sous l’effet de la crise actuelle.
Bonne lecture !
(Rapport feuilletable ici et téléchargeable là)
Isabelle Baraud-Serfaty (ibicity), Nicolas Rio (Partie Prenante), Hélène Delhay et Clément Fourchy (Espelia)
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