Les CDT ou la ville des promesses ?
Les travaux de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Ile-de-France (IAU) sont toujours extrêmement documentés et riches. La « note rapide » qu’il vient de publier sur « Les CDT à l’heure du Grand Paris » (ici) n’échappe pas à la règle. Pourtant, cette fois-ci, c’est surtout à une lecture en creux que nous invite ce document.
A la première lecture, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes : le titre mentionne « une dynamique en marche », « les 21 CDT engagés deviennent des références incontournables », et « la concentration de leur préparation en trois ans a permis l’émergence de visions territoriales ». Enfin, « ces territoires ambitionnent d’accueillir entre 260.000 et 300.000 emplois supplémentaires en quinze ans, soit entre 15.000 et 17.500 emplois supplémentaires par an ». Et le document de conclure : « la démarche a le grand mérite de faire le point sur la quasi-totalité des aspirations locales ».
Pourtant, au fil de la lecture, la tonalité change, et un certain nombre d’inquiétudes sont formulées. Notamment : « les CDT expriment plus un « contrat moral » entre les communes, les intercommunalités et l’Etat qu’un contrat reflétant des engagements juridiques et financiers précis », ou encore : « ces documents sont sans valeur d’engagement réel, car leur portée juridique est faible ».
Surtout, cette étude, qui émane – ce n’est pas rien – de l’institut d’étude de la Région Ile-de-France, insiste à deux reprises sur le rôle clef que joueront les acteurs privés sur le développement du Grand Paris.
Sur le développement tertiaire : « en l’état actuel des intentions affichées, l’offre cumulée pourrait créer une situation de concurrence entre sites, plaçant les investisseurs en situation d’arbitre et de décideurs ultimes de la localisation des dynamiques de développement ».
Sur l’offre d’équipements structurants : « la faisabilité économique, à l’échelle régionale, de tous ces projets, place de fait les opérateurs privés en position d’arbitre ».
Ainsi cette étude nous semble rejoindre le propos que nous développions en mars 2013 dans la revue « L’observatoire de l’immobilier » :
Le Grand Paris est un paradoxe. À première vue, il représente l’archétype du grand projet public, porté par l’État (…) et réalisé selon des logiques verticales descendantes, « top down » : l’État, via la Société du Grand Paris (SGP) et via ses établissements publics d’aménagement (EPA) – en charge de l’aménagement des grandes « opérations d’intérêt national » (OIN) –, serait le principal orchestrateur du projet. Dans ce contexte, les collectivités locales auraient un rôle à jouer au travers de la négociation des « contrats de développement territorial » (CDT). Mais la place des acteurs privés – promoteurs, investisseurs immobiliers, entreprises de services urbains – se limiterait à la mise en musique d’une partition écrite par d’autres. Or, en réalité, quand on y regarde de près, et notamment quand on se concentre sur la dimension aménagement du Grand Paris, c’est une toute autre lecture qui s’impose. Certes, le principal vecteur du Grand Paris, l’infrastructure de transport, relève d’arbitrages du Premier ministre (pour preuve, le très attendu discours de ce dernier, le 6 mars 2013). Mais, dès lors qu’on zoome sur les principales opérations d’aménagement du Grand Paris, celles qui participent, en particulier, de la production du cadre bâti et doivent donner naissance à 70.000 logements par an, comme à La Défense, à la Plaine-de-France, à Paris-Saclay ou aux Ardoines, on observe que ce qui se joue dans le Grand Paris témoigne surtout de nouvelles logiques de fabrication de la ville, marquées par une place plus grande laissée aux acteurs privés, au premier rang desquels les opérateurs immobiliers.
(« Le Grand Paris, laboratoire pour une coproduction public-privé innovante », téléchargeable ici).
Elle nous conforte également dans nos convictions. Primo, qu’il est temps pour les acteurs publics de se saisir pleinement de la place que les acteurs privés occupent dans la fabrication de la ville. Secundo : qu’il est urgent de traiter de front la question du modèle économique de la production urbaine (cf. le lancement de l’Observatoire des nouveaux modèles économiques urbains par ibicity). Faute de quoi, le Grand Paris ne sera que la “ville des promesses”.
Sur ce sujet, voir aussi notre billet sur les nouvelles relations aménageurs-promoteurs.
Ci-dessous un tableau réalisé dans le cadre de notre Observatoire des nouveaux modèles économiques urbains :