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Le Monde Cities posait ce matin la question : "A qui profite Paris ?".

 

ibicity intervenait dans la première table-ronde, aux côtés d'Antoinette Guhl, adjointe à la maire de Paris en charge de l’innovation sociale et de l’économie circulaire, et Kenneth Schlenker, directeur Bird France (service de trottinettes électriques partagées), sur le thème : "L’économie de partage, rêve ou cauchemar des Parisiens ?".

On retrouvera ici en substance ce que nous avons répondu aux questions posées par Claire Legros, journaliste du Monde, en nous appuyant largement sur l'Etude sur les nouveaux modèles économiques urbains, que nous avons réalisée avec Partie Prenante et Espelia, avec le financement de l'ADEME et de la Caisse des Dépôts.

 

Claire Legros : L’économie de partage, c’est quoi ? Quelles sont les différences entre les différents acteurs ?

D’abord, je crois que pour comprendre les différentes formes d’économie du partage, il y a un concept qui est clef, c’est celui de multitude, qui a été forgé par Nicolas Colin et Henri Verdier. Selon eux, ce qui caractérise fondamentalement l’économie numérique, c’est le fait que l’habitant-usager-consommateur a changé de place : il n’est plus seulement en bout de chaine mais il devient producteur.

Il peut d’abord devenir producteur d’actifs sous-utilisés : places libres dans son logement (qu’il peut "partager" via airbnb), de places libres dans sa voiture (via Blablacar), de places libres dans sa place de stationnement (via Zenpark).  Dans ce cas, on est au cœur de ce qu’on appelle l’économie collaborative, avec un enjeu qui est de savoir si cette économie relève de l’économie marchande ou pas, et doit être fiscalisée ou pas.

Et puis, cet habitant-usager-consommateur, il peut aussi produire du travail, ou de l’énergie, et c’est précisément le modèle de Bird : les trotinettes appartiennent à Bird mais ce sont des personnes, comme vous ou moi, qui rechargent les trottinettes la nuit. Avec des moyens de production en partie distribués et des questions sur ces nouvelles formes de travail.

Enfin, de manière plus large, cet habitant-usager-consommateur, il devient producteur de données. Car bien souvent il a un smartphone, qui lui permet d’être saisi de manière très fine, sur mesure, en fonction de qui il est et de là où il est géolocalisé, en temps réel. Et c’est précisément cette capacité à jouer sur le temps réel qui va permettre de partager dans le temps l’usage de la trottinette, et à basculer dans un modèle (d’économie de fonctionnalité) où l’usage compte plus que la propriété.

Ça c’est la première idée : l’importance de la multitude, du temps réel, du sur-mesure et de l’usage au cœur de l’économie de partage.

La deuxième idée, c’est que pour activer cette multitude, en temps réel et sur-mesure, il y a un acteur aujourd’hui qui devient clef, ce sont les plateformes. Elles ont toutes en commun d’être des modèles bifaces (avec deux sources de clients qui se potentialisent) et de faire du « matching » entre une offre et une demande. Mais par contre il y a une grande diversité de plateformes possibles :

  • On a les géants du numérique, avec notamment les GAFA américains, mais aussi les géants chinois. Je vous invite en particulier à prêter attention à Alibaba, qui est un des tops sponsors mondiaux du CIO (Comité International Olympique) et qu’on va sans doute voir arriver en force à Paris au moment des JO de Paris.
  • On a des start-up ou acteurs de taille intermédiaire : Zen park, bird, qui peuvent grossir.
  • On a aussi des acteurs historiques, qui peuvent vouloir se mettre au plus près de l’usager et jouer ce rôle de plateforme, je pense à la SCNF, avec Oui Sncf.
  • Et puis, de plus en plus, émergent des acteurs coopératifs, qui proposent des formes alternatives de propriété et de fonctionnement de ces plateformes.

Chacun de ces acteurs renvoie évidemment à des modes de faire très différents.

 

Claire Legros : de quels leviers disposent les collectivités locales ?

D’abord, il me paraît important de dire que ces plateformes sont porteuses aussi bien d’opportunités que de menaces. Il faut donc les apprécier au cas le cas, plateforme par plateforme, et territoire par territoire.

Ensuite, il y a un point commun à toutes les collectivités :

D'une part, on bascule de la ville des infrastructures à la ville des usages. Avant, les infrastructures suffisaient à rendre le service urbain, désormais, il faut être au plus près de l'usager.

D'autre part, le paysage de la fabrique urbaine a changé.

Avant, on était dans un jardin à la française, avec :

  • Du côté des acteurs publics : une répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités selon une logique de « blocs de compétences »
  • Du côté des acteurs privés : une structuration sectorielle du marché avec des autorités organisatrices qui définissent et contrôlent les obligations de service public
  • Du côté des relations public-privé : une relation donneur d’ordre-exploitant avec pour chaque secteur un oligopole d’exploitants privés historiques.

Aujourd’hui, on est dans une jungle urbaine (cf. l'exemple d'Autolib, dont l'échec incarne ce basculement), avec :

  • La puissance publique qui a perdu le monopole de la production des services urbains, avec plein de nouveaux entrants ;
  • Le paysage des services urbains qui devient à la fois plus fragmenté et plus imbriqué : les acteurs et les offres se multiplient, mais leurs interdépendances se renforcent ; chaque opérateur a besoin des autres pour continuer à fonctionner.

L'enjeu pour les collectivités est alors de gouverner des écosystèmes urbains. Dans ce contexte, l'espace public devient un levier de plus en plus important pour les collectivités locales, car c'est une ressource clef pour beaucoup des nouveaux entrants dans la fabrique urbaine.

 

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