Le trottoir comme miroir et révélateur des mutations d’une société
Le dernier numéro de la revue Futuribles vient de sortir. Outre un dossier consacré à l’avenir du travail, et de stimulants articles sur l’évolution des valeurs des Européens, “entre individualisation et individualisme”, et “les réseaux sociaux, 20 ans plus tard”, il comprend à la rubrique “Lu, vu, entendu” la critique de Trottoirs ! par Jean Haëntjens, déjà publiée en ligne il y a quelques semaines (ici).
Extraits :
Le livre d’Isabelle Baraud-Serfaty constituera sans aucun doute un ouvrage de référence sur la question des trottoirs, cette part de l’espace public en principe réservée aux piétons, mais accaparée, dans les faits, par plein d’autres usages — commerciaux, techniques, sociaux, culturels… — et devenue aujourd’hui l’objet de nombreuses convoitises. (…)
Le rappel de ce parcours plutôt accidenté conduit l’autrice, consultante en économie urbaine et enseignante à Sciences Po, à s’interroger sur le prochain avatar. Car il est pour elle évident que le trottoir est un révélateur puissant des priorités que se fixe une société. « Pour lire l’avenir des villes, regardez les trottoirs », nous dit- elle. Or, lorsque près de 80 % de la population est urbanisée, l’avenir des villes, c’est en grande partie celui de la société. (…)
Au total, ce sont plus de 50 objets divers — du panneau publicitaire au défibrillateur, en passant par les bornes de recharge électrique, les caméras vidéo ou les fontaines rafraîchissantes — qui encombrent les trottoirs, compliquent la circulation des piétons mais créent de la valeur, beaucoup de valeur. Les trottoirs sont devenus les espaces les plus convoités des villes. Au point qu’au Royaume-Uni ou aux États-Unis, des groupes financiers puissants achètent et aménagent des bouts de trottoir renommés POPS (Privately Owned Public Spaces), sur lesquels ils créent de la valeur et assurent la sécurité*. (…)
Dès lors, plusieurs questions se posent aux collectivités locales : comment partager ces espaces — ou gérer les conflits — entre les nombreux usagers qui se bous- culent sur cette étroite bande passante ? Comment partager la valeur et récupérer une partie de celle qui se crée ? Comment éviter la banalisation de ces espaces qui font l’âme d’une ville ? (…)
Voici donc un ouvrage qui impressionne tant par la richesse de sa documentation que par la lunette d’observation qu’il propose : le trottoir comme miroir et révélateur des mutations d’une société. Il devrait intéresser, bien sûr, les acteurs de l’aménagement et de l’urbanisme, mais aussi, plus largement, les professionnels de la prospective.
*voir l’article publié le 28 août 2023 par Médiapart sur les POPS : “Public ou privé, les rues de Londres recèlent de drôles d’espaces“, de Marie Billon. Merci à FT pour nous l’avoir signalé !