Le trottoir au coeur de l’innovation urbaine et du nouveau métier des aménageurs

Bravo à Urban Lab, le laboratoire d’innovation urbaine de Paris, pour sa présentation très inspirante de ses nouveaux projets d’expérimentation dans l’espace public parisien. Le replay de l’évènement de ce matin est disponible ici et les ressources associées .

Loïc Dosseur, le directeur général de Paris and Co, a conclu (à la 108ème minute sur 112 minutes) sa présentation en soulignant l’enjeu du “passage à l’échelle”, qu’il définit ainsi : “passer de ce qui se passe à un moment sur un trottoir à une réponse globale“. “Trottoir” ! Le mot est lâché… L’importance du trottoir avait déjà été signalée (page 81) dans le rapport d’évaluation publié par Paris and Co en juin 2020 (ici), en faisant notamment référence (merci !) à nos travaux et à notre article dans Futuribles.

Mais la présentation de ce jour, avec les magnifiques illustrations de Nicolas Bascop, qu’on a reprises ci-dessous, illustre magistralement l’importance stratégique du trottoir comme ressource-clef pour la plupart des porteurs de projets lauréats, mais aussi comme objet de leur “proposition de valeur”. Elle témoigne plus largement du foisonnement des opérateurs de/dans la rue, que ce soit sur la “couche physique du trottoir”, ou sa “couche informationnelle”, ou sa “couche servicielle” (nous reviendrons en détail sur ces trois “couches” du trottoir dans une publication, finalisée et bientôt à paraître, réalisée avec la direction de la prospective du Grand Lyon, et Benjamin Pradel et Nicolas Nova sur les “rues de demain”).

(Les textes de présentation des projets ci-dessous sont reprises du site d’Urban Lab, et les illustrations sont donc de Nicolas Bascop. Et bien-sûr, à chaque fois, regardez le trottoir !)

Vertuo Oasis par Vertuo (couche physique du trottoir)

Modules végétalisés permettant de récupérer l’eau de pluie et de créer des îlots de fraîcheurs résistant aux épisodes de fortes chaleurs.

 

“V-bike : remorque de vélo multi-températures” par Vesna by ESC (couche physique du trottoir)

Remorque de vélo modulable pour transporter des produits secs, frais (+5°C) et congelés (-18°C) sur les derniers kms et qui pourra constituer une alternative aux camions réfrigérés.

 

“Bornes d’apports volontaires pour les déchets alimentaires” par Les Alchimistes (couche servicielle du trottoir)

Composter ses déchets alimentaires en bas de chez soi est désormais possible : le projet propose de mailler le quartier en points d’apport volontaire et de constituer une communauté autonome de citoyens composteurs.

 

“Coordination.Ordonnée.Paris (COP)” par DUCKT (couches physiques et servicielles du trottoir)

Système de stations 3-en-1 “docking, locking and charging” pour vélos et trottinettes électriques.

 

“4SAFEMOBILITIES” par LACROIX Lab, Wintics et MERCURA (couche informationnelle du trottoir)

Système technologique capable de fluidifier le trafic de manière intelligente, aux carrefours et aux passages piétons.

 

NovAccess” par C3A (couche informationnelle du trottoir)

Solution de contrôle d’accès aux bâtiments reposant sur de l’interphonie dématérialisée pour optimiser la réception et la livraison de colis ou faciliter les soins à domicile.

Un concurrent d’Amazon ? On y reviendra !

“Birds For Change” par Birds For Change (couche informationnelle du trottoir)

Projet visant à sensibiliser au ramassage des déchets et à la place de la biodiversité en ville. En collaborant avec des corvidés, des oiseaux souvent perçus comme nuisibles, la mission de Birds for Change est d’éduquer les citoyens sur les incivilités en créant un électrochoc dans les consciences.

 

On aura l’occasion d’évoquer ces sujets dans un webinaire “Qui fait le trottoir ?” le 19 mars prochain, en lien avec notre interview dans Urbis Le Mag : “Pour lire l’avenir des villes, regardez le trottoir !

 

Outre l’importance du trottoir, la présentation de ce jour était inspirante en ce qui concerne les mutations du métier de l’aménageur. On a été particulièrement attentif aux propos de Frédéric Luccioni, Directeur Général Adjoint de la SEMAPA, indiquant (à partir de la 109ème minute) :

On est passé d’un métier de fabrication de fonctions – logements, bureaux, voirie – à un métier de fabrication d’usages, c’est à dire : on habite, on travaille, on se divertit, on se détend, on se déplace et donc on se déplace de plusieurs façons, on travaille de plusieurs façons, on habite de façon évolutive dans sa vie.

Ces propos font largement écho à nos convictions que les aménageurs sont aujourd’hui très bousculés et qu’ils doivent s’intéresser au fonctionnement du quartier (et aussi, en lien avec le fait qu’on “habite de façon évolutive dans sa vie”, au logement-as-a-service).

On se permet de renvoyer à nos notes pour le Réseau National des Aménageurs (note sur la nouvelle fabrique des espaces publicsNote sur l’aménageur au défi du fonctionnement du quartier, co-écrite avec Une autre ville)…

ainsi qu’à nos travaux sur les nouveaux modèles économiques urbains (avec Espelia et Partie Prenante) : voir notamment le rapport bleu, sur le basculement usager-centrique de la fabrique urbaine :

et le rapport jaune sur les nouveaux opérateurs de l’économie circulaire :

 

Ces propos renvoient également à ceux d’un autre aménageur, Hugues Parant, DG de l’EPA Euroméditerranée lors de son intervention à la table-ronde sur l’aménageur 3.0 organisée par Léonard et La Fabrique de La Cité  : « la valeur d’usage l’emporte sur la valeur patrimoniale » et, en conséquence, « il faut suivre, non pas les systèmes constructifs mais ce qu’on met dedans ».

 

Ci-dessous le propos plus large du DGA de la SEMAPA :

Effectivement, 30 ans, c’est assez vertigineux quand on pense à l’échelle de développement d’un quartier, sachant qu’il reste encore une dizaine d’années pour, a priori, espérons-le, le terminer. Ce qui fait 40 ans, ce qui est vraiment une vie professionnelle, voire générationnelle. Donc, effectivement, des enjeux d’évolutivité, on est au quotidien dedans. Évidemment, les images du projet urbain d’il y a trente ans ne sont pas celles du projet d’aujourd’hui et donc le projet de demain lui-même n’est pas complètement figé, et on essaie de vivre avec ce temps, cette adaptation du temps. A la fois, comme une contrainte puisqu’on est en partie sur des voies ferrées, donc il faut un certain temps pour arriver à fabriquer cette ville. Et puis, aussi comme une potentialisation : on ne doit pas tout figer, on ne doit pas tout anticiper. On doit laisser une place au hasard, laisser une place à l’aléatoire, qui, de toute façon, arrivera parce que le temps crée de l’aléa. On est perpétuellement dans cette notion d’évolution, de prendre la question du temps comme un atout et comme un paramètre principal du sujet. Sans le paramètre du temps, il n’y aurait pas eu station F, il n’y aurait pas eu l’Université. C’est une évolution progressive qui fait qu’à un moment donné, le quartier se construit progressivement et on essaye d’être dans cette agilité qui est à double échelle, c’est-à-dire qui est une contrainte lourde qui est de fabriquer des infrastructures assez difficilement évolutives – au-dessus des voies ferrées, on est sur des ouvrages d’art – et en même temps, comment faire en sorte que ce qui est fabriqué puisse aussi évoluer dans le temps ? C’est un peu la façon dont aujourd’hui on construit, ces projets et c’est l’accélération qu’on en a prise avec vous sur cette approche du quartier d’innovation urbaine. C’est à dire que on essaye à la fois de réfléchir à comment on va construire ce qui reste à faire, mais aussi comment on vient réinvestir, réadapter ce qui a déjà été livré, qui a pu être à une époque une vision de la ville qui aujourd’hui, est en partie dépassée – la question de l’automobile a été évidemment totalement balayée et on voit bien qu’on a des espaces publics, des aménagements, qui ont été faits dans une autre époque. Comment on réutilise ces espaces pour potentialiser, utiliser la ville à ces nouveaux usages ?

On est passé d’un métier de fabrication de fonctions – logements, bureaux, voirie – à un métier de fabrication d’usages, c’est à dire : on habite, on travaille, on se divertit, on se détend, on se déplace et donc on se déplace de plusieurs façons, on travaille de plusieurs façons, on habite de façon évolutive dans sa vie. Comment tous ces enjeux-là viennent nourrir la façon dont on fabrique aujourd’hui ce quartier ? L’approche Quartier d’Innovation Urbaine est très intéressante parce qu’elle permet encore une fois de tester des choses, de renforcer cet effet, hasard, de pouvoir aussi se remettre en question et surtout, de nourrir aussi la SEMAPA et toutes les équipes, à ces nouvelles façon de concevoir l’aménagement de l’espace public, l’aménagement de la ville.

 

A suivre….