Le retour de l’économie mixte
En 2005, l’obligation de mise en concurrence des SEM semblait annoncer un certain essoufflement de l’économie mixte, au profit de deux modes de production et de gestion de la ville radicalement différents : d’un côté, le mode public, avec la création des Sociétés Publiques Locales d’aménagement (SPL) en 2006, suivie de la création des SPL en 2010 et de la reprise en régie par de nombreuses villes de leurs services publics délégués ; de l’autre, le mode privé sous contrat, avec la montée en puissance des contrats de partenariat public privé créés par l’ordonnance de 2004.
Ci-dessus, illustration parue sur le site d’Attac “SEM à opération unique : services publics en danger !” (ici)
Près de 10 ans après, il semble pourtant que l’on assiste au retour de l’économie mixte, comme en témoigne le projet de création de la « SEM à opération unique » (SEM OP), qui a été votée au début du mois à l’Assemblée Nationale. Pour le dire rapidement, la SEM à opération unique est une SEM « inversée », dans laquelle les actionnaires privés sont majoritaires.
L’objectif est d’offrir aux collectivités un outil qui soit complémentaire tant de la gestion directe que de la gestion déléguée, en leur offrant la possibilité de mobiliser les ressources financières et techniques d’un opérateur privé, tout en ayant les moyens effectifs de le contrôler.
Mais au-delà de ces objectifs, cette nouvelle mesure nous semble surtout témoigner de la recherche par les collectivités de nouveaux moyens d’action dans un monde qui change très vite. Car les contrats de délégation de service public ou les contrats de partenariat public privé, qui sont des contrats de commande publique, supposent que la collectivité locale soit en mesure de définir son besoin sur des durées très longues, parfois de 20 ou 30 ans. Or les usages sont aujourd’hui en pleine évolution sous l’effet d’une triple mutation (crise financière, impératif de la ville durable, révolution numérique), et il est difficile aujourd’hui de se projeter à même cinq ou dix ans. Désormais, ce ne sont plus seulement les variables de l’équation (prix, quantités) qui bougent, mais l’équation elle-même (besoins, usages, modèles économiques). L’économie mixte permet alors aux collectivités de rester impliquées dans la définition du besoin tout au long de la vie du contrat.
La création de la SEM OP participe ainsi de ces nouvelles relations public-privé (cf. ici) qui se créent dans le champ de l’aménagement, relations plus partenariales où amont et aval sont davantage imbriqués tant il devient difficile de penser l’usage sans les usagers.
Extrait des débats à l’Assemblée Nationale (voir le texte intégral des débats ici)
C’est dire si l’attente des élus de toutes les tendances et de toutes les strates est forte. Que ce soit dans les domaines de l’eau, des déchets, des transports, de l’énergie, du haut débit ou encore des opérations de rénovation urbaine, les collectivités territoriales souhaitent, en effet, pouvoir bénéficier d’outils rénovés et même innovants, alors que la gestion en régie a parfois montré ses limites et que les expériences passées de partenariat public-privé ont suscité de nombreuses critiques notamment quant à leur coût pour la collectivité et quant aux limites induites par leur mise en œuvre.
Pour les projets complexes – notamment ceux qui touchent aux nouvelles technologies, à l’environnement ou à l’énergie – et qui impliquent un fort investissement capitalistique, tous les élus réclament de nouveaux instruments leur permettant de bénéficier du savoir-faire du secteur privé sans, pour autant, se passer d’une vraie maîtrise et d’un réel contrôle démocratique des conditions de fonctionnement de ces services publics locaux. Cette nouvelle catégorie de SEM s’inscrira donc dans la gamme des entreprises publiques locales à côté des 1 158 SEM proprement dites, des trente-huit sociétés publiques locales d’aménagement et des 119 sociétés publiques locales présentes sur notre territoire.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui a pour finalité d’introduire dans le code général des collectivités territoriales un titre spécifique consacré à cette nouvelle catégorie de société d’économie mixte : la SEM à opération unique. Si vous l’adoptez, le nouvel article L. 1541-1 du code général des collectivités territoriales précisera qu’une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales peut créer, avec au moins une personne privée, sélectionnée après une mise en concurrence, une société d’économie mixte à opération unique.
Cette SEM sera créée exclusivement en vue de la conclusion d’un contrat avec la collectivité territoriale, ou un groupement de collectivités, dont l’objet sera soit la réalisation d’une opération de construction, de logement ou d’aménagement, soit la gestion d’un service public, soit toute autre opération d’intérêt général. Ainsi, ce procédé reposera sur une mise en concurrence de candidats potentiels à l’attribution d’un contrat, l’attributaire pressenti devant obligatoirement intégrer la société d’économie mixte créée dans le même temps par la collectivité publique qui a lancé la procédure. Ce n’est donc pas l’entreprise gagnante de cette procédure qui exécutera elle-même le contrat pour lequel elle aura été choisie, mais une entité mixte uniquement créée pour cette mission. Comme toutes les SEM, cette société relèvera du régime des sociétés anonymes, mais elle pourra, par dérogation à ce dernier, n’être composée que d’au moins deux actionnaires. La collectivité territoriale ou son groupement détiendra entre 34 % et 85 % du capital de la société et 34 % au moins des voix dans les organes délibérants. La part de capital de la personne privée ne pourra être inférieure à 15 %. Ce texte répond ainsi clairement aux trois objectifs partagés non seulement par les élus locaux, mais par tous les praticiens de la commande publique, à savoir : un contrôle étroit de l’opération de service public, de construction ou d’aménagement dont l’exécution est l’objet du contrat et une implication accrue dans la gouvernance tant de la part du donneur d’ordre que de l’opérateur ; le recours à l’expertise d’un partenaire économique et, enfin, le partage des risques avec l’opérateur privé à hauteur de sa participation au capital de la société commune.