La gestion des espaces publics au concret

Ce 21 mars 2025 se tenait au Hub de la Banque des Territoires la journée organisée par le Club Ville et Aménagement : « Nouveaux enjeux de l’aménagement : dialogue avec la recherche ». L’une des trois tables-rondes était intitulée : “Préserver l’ambition des espaces publics après la livraison“, avec le cadrage suivant : “Les collectivités et les aménageurs ont massivement modifié leurs pratiques et leurs ambitions en matière de production d’espaces publics. Ceux-ci sont plus généreux, plus qualitatifs, plus verts… qu’il y a 20 ou 30 ans. Si cette qualité n’a pas de prix, elle a un coût. Que se passe-t-il lorsque l’aménageur les rétrocède ? Les services des collectivités ont-ils les moyens budgétaires et humains de maintenir cette qualité ?”.

La table-ronde réunissait (par ordre d’intervention) : Vincent Lermitte, DGS mutualisé CC Pays de Fontenay Vendée / Ville de Fontenay-le-Comte et vice-président de ADGCF (Association des Directeurs Généraux des Communautés de Francce) ; Sébastien Chambe, Directeur général adjoint délégué à l’urbanisme et la stratégie territoriale du Grand Lyon ; Marie-Anne Olivier, directrice de projets au sein de la SPL Clermont-Auvergne. Un grand merci au Club Ville et Aménagement pour l’invitation à animer la table-ronde et aux trois intervenants pour leurs propos passionnants.

Ci-dessous un extrait de l’introduction et quelques idées-clefs issues de la première partie de leurs interventions.

Extraits introduction (ibicity)

On passe d’un enjeu qui était celui de la « fabrique urbaine » à celui du « fonctionnement de la ville » (= faire vivre la ville), qui renvoie à la fois à la gestion (= exploitation + maintenance) et aux usages. Cette question se pose spécifiquement pour les espaces publics. Pour trois raisons : les usages de l’espace public se modifient ; les collectivités sont de plus en plus contraintes financièrement ; les espaces publics sont eux-mêmes en train de changer de nature, ils sont végétalisés, désimperméabilisés et donc la manière aussi de les gérer change.

Idées-clefs issues de la première partie de l’intervention de Vincent Lermitte

1. Il est difficile de donner des chiffres précis sur la contraction des dépenses de fonctionnement car les budgets des collectivités sont en train d’être votés. Mais on peut rappeler déjà que les dépenses d’investissement pourraient chuter de 12 milliards d’euros, soit une baisse de 16% par rapport à 2023 (cf. rapport de la Fondation Jean Jaurès de novembre 2024). On sait aussi que plus de 10% des dépenses de l’investissement public sont directement liées à l’aménagement des espaces. Il va donc y avoir un véritable arbitrage entre le fonctionnement, donc la maintenance-entretien, et l’investissement. Aujourd’hui, les stratégies globales des collectivités portent davantage sur l’investissement que sur la maintenance et l’exploitation. Ce qui n’est pas sans poser question quand on constate qu’on a des parcs immobiliers qui sont aujourd’hui très compliqués à réhabiliter parce qu’on les a un peu laissés tomber pendant des années.

2. Un constat est que globalement, de plus en plus, les collectivités se tournent vers des opérateurs extérieurs, SEM, SPL ou opérateurs privés, pour s’occuper de la partie bâtie. En revanche, elles souhaitent garder en régie la maîtrise de l’espace non-bâti, car ce sont des espaces qui demandent de plus en plus d’arbitrages, et le meilleur arbitre reste la collectivité.

3. La répartition des compétences entre les collectivités est un vrai sujet. Parfois, on a un bout de trottoir à l’intercommunalité, un autre bout de trottoir qui est à la commune, parce que c’est la continuité de la zone d’activité. C’est une vraie difficulté, et c’est tout l’enjeu de l’unité de gestion. Pour tenter de la résoudre, un service qui s’appelle l’accoroutisme* est parfois mis en place, qui au départ ne faisait que les fauches de bord de route, et qui au fur et à mesure s’est transformé en service de prestation rendue par l’interco aux communes, pour tous les espaces publics verts de “petite taille”. Quant à savoir ce qu’on considère de petite taille ou de grande taille, c’est commune par commune que cela se traite.

4. Deux formules de gestion coexistent. Pour les espaces qualitatifs, intervenir en régie est moins cher. Pour les espaces « massifiés », en revanche, la prestation est plus intéressante pour des raisons liées aux équipements : petits équipements pour les espaces plus contraints, gros tracteurs à 150.000 euros pour les espaces massifiés, avec un coût horaire d’utilisation qui devient beaucoup trop cher pour une collectivité.

 

Idées-clefs issues de la première partie de l’intervention de Sébastien Chambe

1. La métropole de Lyon a un profil un peu particulier du point de vue des espaces publics, car c’est une collectivité qui est à la fois aménageuse (en régie et via des concessions) et gestionnaire de l’espace public. Le budget d’investissement de l’aménagement urbain (porté par la direction de l’urbanisme et de la stratégie territoriale) est de 990 millions d’euros sur le mandat. Les coûts de fonctionnement qu’ils génèrent sont portés par une autre direction (la direction de l’exploitation et gestion de l’espace public et des mobilités). La métropole de Lyon a aussi comme particularité que toutes les compétences liées à l’espace public relèvent de son périmètre, hormis les squares et jardins et l’éclairage public qui relèvent des communes. La seule domanialité qu’elle n’a pas concerne les autoroutes d’État. La direction de l’urbanisme bénéficie donc d’une unité de gestion, ce qui est une différence par rapport à d’autres types de répartition de compétences entre les strates de collectivités locales.

2. Un constat est qu’on fait porter à l’espace public de plus en plus de politiques publiques et d’attentes de la société. Plus on lui fait porter des attentes, plus on le complexifie, et plus derrière, cela renvoie à des problématiques de gestion nombreuses et coûteuses. La charte des espaces publics, impulsée en 2020, pose les attentes de politiques publiques sur l’espace public.

3. Par exemple, les mobilités sont un des premiers enjeux de politiques publiques qu’on fait porter à l’espace public, mais avec des attentes qui se diversifient. On voudrait des espaces dédiés aux piétons d’une part, aux vélos d’autre part, aux transports en commun et aux voitures. Ça fait quatre modes qu’on a tendance de plus en plus à séparer avec même des bordures physiques de plus en plus entre les quatre modes. Or, les problématiques de gestion ne sont plus du tout les mêmes quand on a un espace unifié avec un seul fil d’eau, ou quatre couloirs avec quatre fils d’eau et une balayeuse qui doit passer dans ces quatre couloirs. C’est très concret, mais cela influence très directement la façon de gérer cet espace public. Il y a aussi désormais des bornes à l’entrée d’un certain nombre de ces espaces publics et il faut donc gérer les ayants droit, avec donc des bornes, des caméras, des gens derrière les caméras. Rien que sur la politique publique de mobilité, en quelques années, les types d’attentes en aménagement puis en gestion ont explosé. Egalement, la végétalisation débarque en masse dans les métiers des aménageurs, pour à la fois atténuer le réchauffement climatique et s’adapter à ce réchauffement.

4. La qualité est à la convergence de toutes ces attentes programmatiques et de comment on les confie à des concepteurs chargés de mettre tout ça en musique, à des aménageurs chargés de mettre tout ça en planning et en budget. Et puis à des gestionnaires chargés de faire vivre tout ça dans le temps. Parallèlement, plusieurs hectares par an d’anciens domaines privés sont reversés au domaine public.

 

Idées-clefs issues de la première partie de l’intervention de Marie-Anne Olivier

1. Trois parcs sont actuellement en cours de réalisation à Clermont-Ferrand. Le débat au départ était : a-t-on le choix ? Les élus ont conclu qu’on ne l’avait pas. Donc il faut créer les conditions du bien vivre en ville, c’est un préalable à toute évolution métropolitaine. Il faut donc se poser la question des conditions de réussite de ce changement, de ce bouleversement, et de comment faire en sorte que ce soit tenable dans le temps. Parce que si on livre des espaces publics extrêmement qualitatifs qui seront très dégradés trois ans après parce qu’on n’aura pas su les entretenir, on n’aura pas réussi à atteindre l’objectif qu’on s’était fixé.

2. La question des personnes qui gèrent ces espaces publics est majeure. Par exemple, les jardiniers horticoles sont très investis depuis très longtemps sur le territoire, ils ont un savoir-faire exceptionnel, ce sont eux par exemple qui entretiennent le jardin des plantes. Ils sont souvent considérés comme les nobles dans le métier des jardiniers parce qu’ils entretiennent avec beaucoup de méthode, de précision et d’amour ce jardin des plantes. Sauf que les parcs qu’on crée aujourd’hui, ce n’est plus cela. Il va donc falloir trouver le moyen d’accompagner ce changement. Pour que l’ambition soit pérenne, un premier sujet est que ceux qui vont s’en saisir se l’approprient très tôt et soient partie prenante du projet. Pour cela, il faut les associer dès la conception du projet. C’est vrai des jardiniers, mais c’est vrai pour tous les agents qui sont en charge de l’entretien des espaces publics.

3. Les espaces publics sont amenés à jouer des rôles très variés, il y a une intensification de leurs usages qui est notable. Là aussi, on est passé d’espaces qui étaient très contrôlés à autre chose. Par exemple, pour revenir au jardin des plantes à Clermont-Ferrand, pendant très longtemps, on n’avait pas le droit de marcher sur la pelouse. Aujourd’hui, et même depuis plusieurs années, ces pelouses sont accessibles et il s’y passe plein de choses. C’est vrai dans un jardin, et c’est vrai aussi sur n’importe quelle place publique. Il faut donc trouver la manière d’accompagner cela. Ce n’est pas que la question du pouvoir de police, c’est aussi la question de la médiation, de l’accompagnement, de l’animation, de la manière dont on fait vivre ces espaces et de comment on accepte leur diversité d’usages.

4. Il va y avoir aussi un enjeu de hiérarchisation ou de priorisation. Parfois, il faudra renoncer. Par exemple renoncer à faire une fontaine, parce qu’une fontaine coûte très cher et est très compliquée à entretenir, et que la collectivité n’aura pas forcément les moyens financiers et les savoir-faire. Dans d’autres cas, il faut prioriser, ce qui n’est pas évident, mais nécessaire car on demande de plus en plus de choses aux collectivités en matière d’espaces publics.

Merci encore aux intervenants ! Sujet à suivre !

*Un accoroutiste est une personne impliquée dans l’entretien des dépendances vertes des voies de circulation (routes, autoroutes, chemins, pistes cyclables, sentiers de randonnées, voies vertes, voies naviagables, voies ferrées, etc.). Pour l’essentiel, il s’agit de l’entretien des accotements routiers, fossés, talus… L’accoroutiste remplit des missions autrefois assurées par le cantonnier (wikipedia)

 

Egalement : “Il n’y aura pas de transformation de l’espace public sans modèle économique