Facebook, WeChat, Grab, Go-Jek, ou l’ère des super-applications
A lire dans les Echos de ce jour deux articles sur l’émergence des super-applications.
Extraits 1 :
Il est venu le temps des super-applications. Partout dans le monde, émergent ces écosystèmes pléthoriques au sein desquels l’utilisateur peut directement communiquer avec ses connaissances, commander un VTC, réserver chez le coiffeur et même obtenir un prêt parfois. Du tout en un.
« La proposition de valeur de ces super-applications repose sur l’agrégation d’une multitude de services via une seule porte d’entrée », note Arnaud Massonnie, dirigeant fondateur du cabinet de conseil Fifty-Five.
Une société a popularisé ce modèle : WeChat, le géant du « social » en Chine avec plus de 1 milliard d’utilisateurs tous les mois. « Il se rémunère grâce aux fréquences de transaction en prélevant une très légère ponction sur chacune d’entre elles », détaille Nicolas Cabanes, analyste chez Fabernovel.
A l’inverse de ses confrères occidentaux (Facebook, Twittter, Snapchat…) WeChat génère très peu de revenus via la publicité. « Les sociétés voulant intégrer son écosystème paient un droit de licence et ont recours au cloud de Tencent pour faire tourner leur mini-programme (une application « légère » dotée des fonctionnalités de base : NDLR) », poursuit l’analyste de Fabernovel qui valorise la pépite, appartenant au géant Tencent, plus de 200 milliards de dollars. Soit davantage que la capitalisation boursière de groupes comme Boeing ou Oracle.
Un succès hors-norme qui fait des émules. Grab et Go-Jek en Asie du Sud-Est, Rappi en Amérique du Sud, Truecaller Flipkart, Paytm ou Reliance Jio en Inde, jusqu’à Facebook en Occident : tous ces groupes ont fait part de leur ambition de se muer en WeChat et/ou ne cachent pas qu’ils comptent s’en inspirer grandement. « Nous voulons créer une super-application du quotidien », a avancé, il y a un an, le PDG de Grab.
Géant des télécoms (Reliance Jio), e-commerce (Flipkart), service de livraison (Rappi), VTC (Go-Jek, Grab) paiement en ligne (Paytm) : le profil de ces sociétés voulant se métamorphoser en « super-appli » est protéiforme. « Pour se lancer, les deux actifs les plus importants sont d’avoir un parc d’utilisateurs massif et un système de paiement intégré », fait valoir Nicolas Cabanes.
Les investisseurs y croient et n’hésitent pas à parier gros sur ces potentiels WeChat de demain. Tout particulièrement le méga-fonds d’investissement de Softbank. Ces trois dernières années, Vision Fund a investi près de 3 milliards de dollars dans Grab qui est aujourd’hui valorisé près de 14 milliards de dollars. En avril, le fonds a misé 1 milliard sur Rappi.
Une pile de cash bienvenue pour ces groupes. La raison ? Construire une « super appli » s’apparente à un travail de fourmi et nécessite des investissements financiers très lourds pour faire naître un écosystème suffisamment dense. WeChat propose quelque 2,5 millions de « mini-programmes » à ses utilisateurs.
« Au début, il faut aller démarcher et nouer des alliances avec les entreprises pour qu’elles intègrent votre écosystème », note Nicolas Cabanes. Ce qui induit qu’une super-application doit être élaborée et pensée quasiment sur mesure pour chaque marché ; les services et sociétés les plus populaires diffèrent d’un pays à un autre. « Une super-application n’est pas réplicable d’une zone à une autre en un claquement de doigt. »
Un paradigme qui explique que pour l’heure, WeChat s’est concentré sur la Chine et que tous les groupes souhaitant créer leur propre « super-appli » se focalisent uniquement sur leur marché domestique ou une zone géographique bien précise et délimitée.
Ce qui n’empêchera pas certaines de ces sociétés de se faire la guerre pour y devenir l’écosystème de référence. Un géant de la Tech occupe toujours beaucoup d’espace ; il n’y aura pas la place pour plus d’une ou deux « super-applis » par pays.
Source : “Facebook, WeChat, Grab, Go-Jek… : quand s’ouvre l’ère des super-applications” – Les Echos – 5 août 2019 – Nicolas Richaud et Alice Burgat.
Extraits 2 :
Naissant en Occident, le modèle de super-applications est déjà installé depuis plusieurs années en Chine, avec le succès de WeChat. Et ce phénomène est en train de se répandre très rapidement en Asie du Sud-Est, ainsi qu’en Amérique du Sud ou en Inde. Une popularité dans les pays émergents qui ne doit rien au hasard.
Les services publics y sont parfois peu efficaces et les « super-applis » peuvent résoudre certains problémes. Plusieurs gouvernements vont même jusqu’à mener une politique volontariste pour aider au développement de ces écosystèmes massifs. Pékin a ainsi favorisé l’émergence de WeChat, notamment pour les partenariats avec des grands groupes.
« Les Chinois peuvent payer leur facture d’électricité en un clic via WeChat et n’ont plus à se rendre à un guichet de l’administration et faire la queue pendant des heures », souligne Nicolas Cabanes, analyste chez Fabernovel. « Au Vietnam, le gouvernement souhaite réduire le volume de transactions en liquide à hauteur de 10 % d’ici à 2020 et aide Grab et Go-Jek, qui sont à même de favoriser le paiement mobile, à devenir des super-applis ».
Justement, la faible bancarisation dans ces zones géographiques explique aussi cet essor des « super applis » ; les utilisateurs s’en servent pour effectuer tout ou partie de leurs paiements. Au Brésil, un quart de la population n’a pas de compte bancaire selon la Banque centrale du pays, alors qu’une très large majorité (70 %) des habitants est équipée d’un smartphone.
Autre raison à ce boom des « super-applis » dans les pays émergents : le marché du travail y est peu structuré et les salaires minimums sont faibles. Résultat, ces plateformes offrent la possibilité aux travailleurs pauvres de compléter leur rémunération et aux personnes sans emploi de générer un revenu.
« Au Brésil, près de 4 millions de salariés travaillent régulièrement pour ces plateformes. Beaucoup d’entre eux ont pu accéder au statut de micro-entrepreneur individuel, ce qui leur garantit un certain nombre de droits. Ce sont des opportunités professionnelles qui n’étaient pas concevables auparavant pour eux », explique Ivan Lemos Tonet, analyste pour le Service Brésilien de Conseil aux micros et petites entreprises. Un phénomène parfois accentué par les crises migratoires. Selon la BBC, 30 % des livreurs de la start-up Rappi, qui aspire à devenir la « super-appli » d’Amérique du Sud, sont des migrants.
En Occident, seul Facebook s’est déjà positionné pour se muer en « super-appli ». Mais de nouveaux écosystèmes qui ne se veulent pas exhaustifs, mais spécialisés, sont également en train de voir le jour. A l’instar d’Uber.
« Le groupe est en train d’enrichir son offre de transport. Ce qui va du VTC à la livraison de repas en passant par la location de trottinettes », énumère Arnaud Massonnie, dirigeant fondateur du cabinet de conseil Fifty-Five. « En se diversifiant, cette société est en train d’élaborer une forme de « super-appli » de niche. C’est une stratégie que des acteurs français comme Doctolib ou BlaBlaCar pourraient un jour mettre en place en Europe. »
Source : “Pourquoi les pays émergents sont des terreaux fertiles pour ces écosystèmes géants” – Les Echos – 5 août 2019 – Nicolas Richaud et Alice Burgat.
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