Dessine-moi une ville airbnb
Tout le monde connaît Airbnb, figure emblématique de ces nouveaux barbares quidisruptent les secteurs traditionnels. Mais on se tromperait à le cantonner au secteur de l’hôtellerie : c’est bien l’ensemble du secteur de l’immobilier, et notamment du logement, qu’il contribue à transformer. Tel est, en résumé, l’argument de notre article à paraître dans le prochain numéro de la revue de l’IEIF, Réflexions Immobilières.
Extrait 1 :
Ce modèle d’économie du partage repose sur un modèle radicalement différent de l’économie traditionnelle, en accélérant le « passage d’institutions centralisées à des communautés distribuées et connectées » (R. Botsman). En particulier, ce système de plateforme permet « une distribution des capacités de production entre des milliers, voire des millions d’agents autonomes. Or nous vivons dans un monde où les demandes des consommateurs sont de plus en plus complexes et fines. Avant, une entreprise n’avait que deux choix : soigner son client et personnaliser à outrance, mais en produisant forcément de petites séries, ou produire à grande échelle et standardiser, quitte à frustrer le client. Aujourd’hui, le numérique permet de rassembler sur une même plateforme des milliers de producteurs individuels. Grâce à cette chaîne de production infiniment plus flexible, nous entrons dans la personnalisation à grande échelle » (N. Colin).
Extrait 2 :
Le développement d’un acteur comme Airbnb interroge fortement les acteurs publics et notamment les collectivités locales. Si à Paris, les discussions entre la ville de Paris et Airbnb se sont principalement polarisées sur les conditions d’un traitement équitable avec les hôteliers (cf. la décision prise par le Conseil de Paris en février 2015 de faire payer la taxe de séjour aux clients de ces plateformes), le vrai débat est de savoir si Airbnb pénalise le logement abordable ou au contraire le favorise. A charge, certaines municipalités (comme Paris) craignent que la généralisation des pratiques de sous-location d’appartements n’évince un nombre significatif de logements du marché locatif, d’où la tentative d’encadrer fortement la durée de mise en location. A décharge, Airbnb fait valoir qu’il aide les « familles à payer leurs factures ». A New-York, où le débat fait rage, Aibrnb vient de publier une étude sur les impacts économiques et sociaux de son activité : il démontre ainsi que 78% des hôtes Airbnb ont des revenus bas ou moyens, que les revenus issus de la location airbnb permettent en moyenne aux hôtes de couvrir 21% des coûts de location de leur logement, et qu’ainsi 72% des hôtes Airbnb disent qu’Airbnb leur a permis de se maintenir dans le leur logement. Airbnb met également en avant le fait que le système favorise aussi les personnes qui ont des revenus irréguliers (comme les indépendants, les étudiants ou les travailleurs à temps partiels) et que les logements loués sur Airbnb se situent en dehors des quartiers hôteliers traditionnels et permettent donc le développement économique de zones moins touristiques.
Extrait 3 :
Ainsi, l’irruption d’un acteur comme Airbnb doit fortement interpeller les décideurs publics. A l’heure où la production de logement abordable en France s’impose comme un des défis majeurs notamment dans le Grand Paris, il paraîtrait d’ailleurs a minima intéressant d’élargir la réflexion à ces nouveaux mécanismes de solvabilisation des ménages.
Mais cette irruption interpelle au moins autant les acteurs historiques de l’immobilier, notamment promoteurs et investisseurs. Elle les “ringardise” par le développement d’une expérience utilisateur qui est certes aujourd’hui principalement tournée vers l’utilisateur-touriste mais dont on pressent bien qu’elle s’étend à l’utilisateur-habitant, et qui apparaît aujourd’hui sans équivalent de la part des acteurs traditionnels. Les investisseurs se trouvent ainsi questionnés dans l’une de leur fonction de base qu’est la détention des actifs immobiliers, tandis que le rôle du promoteur d’organiser le collectif des futurs habitants de l’immeuble est concurrencé par la capacité qu’ont aujourd’hui les individus à se mettre en relation directement.
De plus, l’arrivée d’Airbnb s’accompagne de l’irruption de toute une cohorte de nouveaux acteurs, qui rentrent, les uns, par l’enjeu du croisement entre l’immobilier et l’énergie, les autres, par le développement de nouvelles technologies de conception, de production et de gestion, ou encore par cette capacité désormais à pouvoir adresser directement la multitude. Toute la chaîne de valeur de l’immobilier est concernée.
Extrait 4 :
Cette recomposition va-t-elle se faire au profit des majors historiques via le développement d’offres intégrées (cf. les projets de démonstrateurs d’Eiffage, Bouygues et Vinci en lien avec le projet d’Institut de la Ville Durable) ? Ou bien va-t-elle favoriser des alliances inédites entre anciens et nouveaux (à l’image du partenariat Blablacar-Vinci de mars dernier) ? Ou bien consacrera-t-elle la suprématie des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) ? Rendez-vous sans doute dans moins de temps qu’il n’en faut pour construire un immeuble ! Mais d’ici là, il y a urgence à élaborer les bonnes stratégies.
En attendant, lecteur, c’est à une autre réflexion que nous voudrions t’inviter. Car si un acteur comme Airbnb participe de cette mutation des modes de production et de gestion de la ville, il participe aussi assurément d’une mutation même de sa matérialité, c’est-à-dire des caractéristiques physiques des logements et des formes urbaines. De même que la mobilité intelligente pose la question du type et du nombre de parkings qu’il faut désormais prévoir pour chaque logement, de même l’imprimante 3D, sans déchets et permettant des petites séries, autorise à rêver d’une “ré-industrialisation de la métropole” . De même encore, le développement du e-commerce a des effets sur l’offre de commerces en dur, de même les mutations du travail rendent plus floue la frontière entre logement et bureau. Quant à l’effet Airbnb, on peut imaginer qu’il va orienter les configurations des logements (avec une pièce en plus à louer) tout en diminuant les parcours résidentiels (la pièce en plus sera tantôt louée, tantôt occupée par un jeune enfant ou un vieux parent), modifier l’équilibre des pratiques entre location et propriété du logement, favoriser sans doute les zones les plus métropolitaines ou les plus touristiques. Mais quoi d’autre encore ? Architecte, urbaniste, dessine-moi la nouvelle ville airbnb.
Et maintenant, dessine moi un chauffeur Uber ! ici
Pour télécharger l’article, cliquer ici