Quand une responsable des espaces publics d’une grande ville nous partage son angoisse des racines des arbres qui défoncent les trottoirs (le vertige des racines ! avoué ici), on repense à une phrase lue la veille dans Kiruna de Maylis de Kerangal : « Dès lors, ce qu’on anticipait il y a un siècle se précipite, inéluctable : la ville s’effondre, elle est peu à peu engloutie par la mine. Des visions d’apocalypse surgissent – gouffres, brèches, glissements de terrain, maisons et silhouettes aspirées par le fond de la terre – quand il s’agit d’une menace plus insidieuse : édifices qui se froissent, béton qui se lézarde, trottoirs qui se fendillent comme du biscuit sec, béances et craquèlements ». (On reviendra prochainement sur Kiruna, cette ville suédoise au nord du cercle polaire qui, au bord d’une mine, est en train d’être déplacée).

Preuve que le « prendre soin » commence par l’entretien des trottoirs, le livre de Jérôme Denis et David Pontille, Le soin des choses, politiques de la maintenance, se termine (toute dernière page !!) par les fissures des trottoirs (merci Sonia S !) :

« C’est en enquêtant, donc, et en allant jusqu’à prendre en considération les « fissures d’un trottoir de Manhattan » [source : W. Cronon, « Le problème de la Wilderness, ou le retour vers une mauvaise nature »], que les humains peuvent découvrir comment prendre leurs responsabilités et mieux jouer leur rôle sur la Terre ». Cette invitation résonne directement avec la démarche que nous avons adoptée dans ce livre en affirmant que prendre en considération la fragilité des choses, au même titre que celle des personnes et des milieux, et reconnaître la valeur de leur maintenance, aide à composer des manières ajustées d’habiter le monde sans jamais s’en extraire. Pour cela, il est précieux d’apprendre, dans un même mouvement, à se rendre sensible aux choses, y compris aux trottoirs fissurés, à débattre de ce qui nous attache à elles, tout en prêtant attention aux gestes, aux préoccupations et aux connaissances de celles et ceux qui en prennent soin quotidiennement ».

Voir aussi sur ces questions d’entretien : « De quelle couleur sera la ville verte ? » et « Où va le blanc des villes lorsque la neige fond« .

L’illustration de ce billet a été trouvée en cherchant sur Google : « biscuit sec trottoir » ! (adjoindre le mot « trottoir » à n’importe quel mot ou nom est l’assurance de faire des découvertes amusantes !)

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