Que voit-on sur la première photo au monde où apparaît un être humain ?
En 2023, donc, on ouvre l’oeil !
“Boulevard du Temple” est une des photos les plus célèbres de l’histoire de la photographie car elle serait la première photo où apparaît un humain !! C’est une photographie en daguerréotype (plaque de cuivre, polie comme un miroir et recouverte d’une couche d’argent) réalisée à Paris en 1838 par Louis Daguerre.
Or, que voit-t-on sur cette photo ? Les trottoirs d’un boulevard désert, non pas à cause de la grande épidémie de choléra (elle a eu lieu six ans plus tôt, en 1832), mais…. car le long temps de pose nécessaire à la photo (le procédé du daguerréotype nécessite un temps de pose d’une durée de 7 à 20 minutes) n’a pas permis d’enregistrer l’animation qui régnait d’ordinaire sur le boulevard. Seul un passant qui se faisait cirer ses chaussures, est resté suffisamment immobile pour figurer sur cette photo.
En 1839, Samuel Morse, l’inventeur du télégraphe, à qui Louis Daguerre a montré la photo, écrit :
“Les objets en mouvement ne s’impressionnent pas. Le boulevard, si constamment rempli d’une cohue mouvante de piétons et de voitures, était parfaitement désert, à l’exception d’un individu qui était en train de faire cirer ses bottes. Bien entendu, ses pieds durent rester immobiles pendant un moment, l’un posé sur la boîte du cireur, l’autre sur le sol. En conséquence, ses bottes et ses jambes ont été bien définies, mais il n’a ni corps ni tête, car ceux-ci étaient en mouvement.”
Ceci dit, “l’homme qui se fait cirer les bottes pourrait en fait remplir deux seaux à une pompe à eau. Surtout, une petite dizaine de personnes peuvent être entraperçues sur la photo (c’est un peu le Où est Charlie? des daguerréotypes) : à droite de la pompe à eau/cirage de chaussure il voit deux personnes assises sur un banc avec un large landeau devant eux. Entre deux et trois personnes pourraient être sur le trottoir de gauche, et il croit voir une calèche sur la route, ainsi qu’un chat regardant à la fenêtre de la maison sur la droite”. (source : Slate). Voir l’image colorisée et annotée, ci-dessous.
Source image colorisée annotée : https://www.lunarlog.com/colorized-boulevard-du-temple-daguerre/
La date est intéressante : on est en 1838, soit sept ans avant la loi de 1845, et c’est donc le début du développement des trottoirs à Paris. En 1834, Rambuteau avance le chiffre de 52 kilomètres réalisés depuis 1829. Haussmann évoque le chiffre de 287 kilomètres de trottoirs en 1870 – à titre de comparaison, Paris en compte aujourd’hui 2.300 kilomètres. Et justement, en 1838, on est… avant 1853 (date du début de “l’édilité” du Préfet Haussmann) et le mobilier urbain de Davioud qui signe les boulevards sous Napoléon III (étant fixe, il aurait pu être visible sur le daguerréotype) n’existe pas encore.
Merci à Antoine S. (et à son professeur d’histoire) pour nous avoir signalé cette photographie !
Et pour une période plus récente, lire aussi : Its the sidewalks, stupid ! (Merci Patrick B. !)
NB : addendum du jeudi 19 janvier 2023 :
Avec la grève, le programme d’histoire se poursuit en “distanciel”…. Après le règne de Louis-Philippe, c’est maintenant la “ville des Schneider”, Le Creusot , qui est le sujet d’étude. L’occasion de découvrir la rue Solférino au Creusot en 1865.
(voir aussi ici la photo dans le manuel Belin)
Cette carte postale montre une des rues de la Cité de la Villedieu, où 85 logements ont été construits en 1865.
“Les cités ouvrières, sur le modèle anglais introduit par Manby et Wilson à la Combe des Mineurs, ont été construites par l’usine. Elles apparaissent comme des cités modèles. La Société Schneider a en effet largement diffusé des images et des plans de ces cités lors des Expositions Universelles à Paris. On en trouve plusieurs exemples au Creusot : la Cité de la Villedieu et ses 85 logements construits en 1865, la Cité Saint Eugène et ses 159 logements qui datent de 1875. L’Usine reste propriétaire des logements pour lesquels les locataires payent un loyer modique. Mais la préférence est allée aux lotissements. En effet, contrairement à l’image qu’ils donnent, les Schneider n’ont pas construit eux-mêmes beaucoup de logements ouvriers : 10 % environ du personnel est directement logé par la firme. Ils ont préféré organiser l’espace en lotissant les terrains qui leur appartenaient ou qu’ils achetaient. Les terrains une fois lotis étaient revendus par parcelles sur lesquelles ouvriers et employés étaient invités, grâce à des prêts, à construire leur propre maison. Une réglementation très stricte concernant la hauteur et l’alignement des maisons, les trottoirs, les règles d’hygiène et de salubrité était imposée par l’entreprise à laquelle les plans devaient être préalablement soumis. De cette politique interventionniste naît l’extrême uniformité du paysage urbain encore visible aujourd’hui.”
Source : www.lecreusot.com
Cette image est intéressante car elle montre comment les trottoirs participent de la construction d’une cité modèle, et aussi leur mode de construction.
D’une carte postale à l’autre, et en franchissant 165 kilomètres (par les routes actuelles) et un peu plus de cinquante années, nous voici cette fois-ci sur les trottoirs d’Ebreuil (déjà évoqué dans un billet sur la paréidolie), à la limite entre l’Allier et le Puy-de-Dôme.
Cette carte postale, qui figure, sous un angle un peu différent, dans l’ouvrage “Ebreuil et ses environs” de Jean-Marc Perrin et Michel Venon (Editions Sutton), aurait été prise entre 1907 et 1910, selon le spécialiste de l’histoire fiolante Alain Paturet, qui nous précise que “le trottoir de droite correspond à un commerce : l’épicerie Julien”. On retrouve donc ici plusieurs éléments caractéristiques de l’histoire du trottoir : quand il ne participe pas d’un système hydraulique (cf. les trottoirs de Pompéi), il est souvent lié aux commerces (cf. les premiers trottoirs de Paris en 1781 devant les boutiques de la rue de l’Odéon) ; il suit le degré de “développement” urbain (quand il n’y a pas de trottoirs, c’est qu’on n’est pas en ville, ici, on est dans un entre-deux) ; historiquement, sa prise en charge a souvent été le fait des riverains (ou avec un mixte riverains/collectivités comme sous Haussmann). On en “reparlera” plus en détail prochainement…
(On retrouve la même église d’Ebreuil, qui apparaît au fond de la rue sur la carte postale, dans la bande dessinée d’Etienne Davodeau Le droit du sol, cette fois-ci en haut à gauche de la vignette).