Bonne année 2024 !
Bonne année 2024 !
En 2021 et 2022, ibicity exhortait à « faire un pas de côté », et, en 2023, à « ouvrir l’œil ». Cette année, pas d’impératif, mais une invitation à emprunter des routes que l’on pensait barrées et qui s’ouvrent pour peu que l’on s’y aventure. Pour un « 2024 ouvert », avec curiosité et optimisme !
Saurez-vous reconnaître le lieu où a été prise cette photo mi-septembre 2023 ? (Vous pouvez vérifier votre réponse en l’envoyant à : ibicity@ibicity.fr). Le choix de ce paysage de hauts plateaux sans arbres pourra surprendre de la part d’une agence de conseil en économie urbaine. Pourtant, rien d’anti-urbain dans ce choix, mais une triple envie.
Envie 1 : ne pas rester sur son trottoir et questionner ses présupposés
« Ben, il n’y a pas de trottoirs sur ta carte de vœux ! », s’est exclamée une collègue-amie à la vue de notre carte. La publication de « Trottoirs ! Une approche économique, historique et flâneuse » a évidemment été pour ibicity un fait marquant de 2023. Ce premier livre (« facétieux » ;-)) a donné lieu à plusieurs critiques, interviews et podcasts, et aussi à des interventions devant des opérateurs publics ou privés – par exemple un assureur mutualiste et un opérateur de mobilier urbain. D’autres retombées, parfois insolites, nous ont conduite des plateaux (pas auvergnats ceux-ci ! #indice) de France Culture au « piétonnier » bruxellois, avant de nous emmener début mars 2024 à Montréal, où nous travaillerons à l’invitation de Julia Frotey, de l’INRS (le CNRS québécois) sur la structuration d’un champ disciplinaire autour des « sidewalk studies ».
Mais garde à ne pas s’enfermer ! Alors, puisque le trottoir est une métonymie de la ville (cf. les trois sangliers !), on ouvre 2024 avec une mise au vert et cette campagne désertique battue par les vents. Cette volonté de ne pas rester sur son trottoir doit s’entendre aussi de manière plus figurée. A plusieurs reprises, 2023 nous a bousculée, beaucoup plus que les années précédentes : certaines hypothèses que nous considérions comme des évidences nous apparaissaient tout d’un coup comme des présupposés, a minima à questionner (voir ci-dessous, *, si ces questionnements vous intéressent !).
Envie 2 : Avancer sur de nouvelles routes et s’ouvrir à l’inattendu
En 2024, ibicity continuera ses missions de conseil sur les sujets d’aménagement à l’heure du ZAN et des péréquations financières, d’immobilier (logement, zones d’activités économiques, reconversion de zones commerciales), du stationnement et de la logistique urbaine, et continuera évidemment à travailler sur le trottoir. Mais elle travaillera également sur le paysage…. des acteurs de la ville et ses transformations, toujours en restant fidèle à sa grille de lecture qui consiste à importer les outils de l’analyse stratégique dans le champ de fabrique urbaine : Qui ? (quels opérateurs ou acteurs, avec quels modèles économiques ? ) Avec quelles ressources clefs ? Avec quelles hybridations sectorielles qui se décomposent et recomposent ?
On explorera ainsi :
Qui seront les opérateurs publics et privés de la nature en ville ? La nature doit-elle être considérée comme une nouvelle infrastructure ? Avec quelles implications sur les modes de gestion, y compris sous forme de participation habitante ?
Dans quelle mesure l’adaptation des villes au réchauffement climatique implique-t-elle de mettre en place de nouvelles échelles d’action, qui obligent à agir simultanément sur l’espace public et les parcelles privées ? Car, comme le rappelle Gilles Clément, « les oiseaux et les arbres ne connaissent pas le cadastre ». Ah, les arbres !! Tout le monde ne jure plus désormais que par eux, et pourtant, nous gagerions bien que la prochaine bataille des trottoirs portera justement sur le végétal en ville ! Qui a beaucoup d’arbres dans son jardin éprouvera d’ailleurs peut-être un sentiment de vertige en découvrant cette planche de l’Atlas du système racinaires des arbres.
ibicity travaillera également davantage sur l’eau dans les villes, alors que celles-ci doivent à la fois faire face au « trop d’eau » et au « pas assez d’eau » (les inondations et la sécheresse – la formule est de Christian Piel, d’Urban Water). Il sera notamment question d’espaces publics à désimperméabiliser, et des réseaux d’eau potable et d’assainissement qui passent bien souvent sous les trottoirs. Découverte 2023 : le mot “impétrants”, utilisé par les Belges pour désigner les réseaux ! Les expéditions urbaines organisées autour de l’eau par la Fabrique de la Cité, think-tank fondé à l’initiative du groupe Vinci, ont à cet égard été particulièrement inspirantes, à Bourges comme à Lisbonne**.
Tous ces sujets – et les autres – posent la question des échelles d’intervention et de gouvernance. On y reviendra. En tout cas, si ces sujets à défricher vous intéressent, n’hésitez pas à nous contacter par mail à : isabelle@ibicity.fr.
Enfin, ibicity continuera à travailler la question de la cartographie, déjà abordée avec Google Maps : alors que la carte a toujours été un instrument de pouvoir dans la mesure où elle permet d’instituer la réalité et de dire ce qui est, force est de constater que les lieux mis en avant sur les cartes les plus utilisées par les habitants des villes (Google Maps) sont fonction du modèle économique de l’opérateur qui les produit. (Cf. la « bascule 5 » de notre travail pour la Direction de la Prospective du Grand Lyon : “la ville saisie par le numérique n’est pas celle imaginée au départ“). Une chose est sûre : “Les cartes ont des pouvoirs magiques” ! (Jean-Marc Besse)
De nouvelles routes… et de l’inattendu ! Justement, ibicity a désormais un bureau à Césure, le « lieu des savoirs inattendus », au même étage que VraimentVraiment ou la foncière Bellevilles. On adore. C’est peu de dire que cet ancien site universitaire en reconversion porte bien son nom, tant tout y est fait pour les rencontres et le mélange des univers – et la cantine YesWeCamp est délicieuse. Merci à Simon Laisney et toute l’équipe de Plateau Urbain ! Merci aussi à Flore Trautmann et au Sens de la Ville pour nous l’avoir fait connaître.
Enfin l’inattendu surgit souvent au détour d’un des séminaires prospectifs que nous organisons pour Futuribles sur les « futurs de villes » pour prendre de la hauteur pour mieux ré-atterrir sur l’opérationnel. Parmi d’autres, une phrase qui nous a marquée lors du dernier séminaire : “Les villes sont immortelles car elles attirent et accueillent les marginaux et les excentriques » (Geoffrey West cité par Nicolas Colin).
Envie 3 : regarder les nuages
Sur notre carte de vœux, il y a des barrières qui se lèvent, des routes qui s’ouvrent, mais aussi de l’herbe, cette « sœur verte des nuages » (La fraîcheur de l’herbe, Alain Corbin), et… des nuages. Justement, on se demandait si on était encore dans les nuages lorsque nous avons lu un matin cette interview de Marine de Gugliemo Weber et appris que « l’ensemencement des nuages » (« une forme de modification du temps qui consiste à ajouter différentes substances (aérosols, petites particules de glace) dans des nuages afin d’influencer les précipitations » – wikipedia) était une « pratique routinière » !!! Et qu’on pouvait aussi voler des nuages pour influencer la pluie !!
Des nuages, il semble en avoir été de plus en plus question en 2023, parce que quand l’eau devient une ressource rare, les nuages permettent potentiellement d’avoir de la pluie et donc de l’eau. Après le trottoir, le nuage comme nouvelle ressource-clef pour les opérateurs de la ville ?!
Dans l’épisode de “Géographie à la carte” consacré à la « géographie des nuages », Olivier Bouchet, climatologue, a ainsi commenté cette carte sur laquelle « sont superposés des nombres qui indiquent la couverture de nuages bas au-dessus des continents et dans des lieux donnés ». Les chiffres indiqués sont des pourcentages qui indiquent la part du ciel qui est en moyenne couvert par des nuages bas. Mais il y a aussi des nuages moyens et des nuages hauts. Ainsi, sur l’Ecosse, la couverture des nuages tous types confondus est sans doute beaucoup plus que les 69% indiqués !! Projet 2024 : aller voler des nuages en Ecosse ?!
Evoquer les nuages est enfin l’occasion de revoir « le nuage » de l’artiste illusionniste Leandro Erlich, qui indique : « Un réflexe primitif nous pousse à distinguer le vrai du faux, de l’artificiel. Mais la réalité est une construction humaine.
Vu en 2011 à La Galleria Continua Les Moulins, le Nuage a depuis été exposé à de nombreuses reprises. Comme l’indique la présentation de l’oeuvre sur le site de la galerie (avec une traduction via Google Translate) :
« Face à cette délicate beauté suspendue, Leandro Erlich nous place devant la poésie d’un phénomène lointain, nous permettant presque de toucher les nuages grâce aux fenêtres qui semblent initier un catalogue infini de formes reconnaissables. La matérialisation de la non-matière, insaisissable et ambiguë, devient une matière ordonnée. Une fois dehors, il est naturel de lever les yeux vers le ciel qui, selon l’artiste, avec ses lumières, ses formes et ses couleurs conditionne la perception que chacun de nous a de sa propre ville ».
Bonne année 2024 !
Et toujours nos voeux 2023, 2022, 2021, 2020, 2019, 2018, 2017, 2016 (un « grand-huit piéton », notre carte préférée !), 2015, 2014, 2013, 2012, 2011 !
oooOooo
*Nos questionnements 2023 !
Un premier questionnement a eu lieu lors d’une intervention pour le Grand débat sur la fabrique urbaine organisé par la Métropole de Nantes. Il était demandé à ibicity d’« ouvrir le capot » de la fabrique urbaine devant les “citoyens”, en zoomant notamment sur la construction d’un bilan financier d’aménagement. Mais, alors que la construction même d’un tel bilan est la traduction d’un certain nombre de choix (les unités sont des euros, un espace vert est considéré comme un coût, etc…), ouvrait-on le bon capot ? Ou, pour répondre à la question de la revue Tous Urbains : faut-il croire les bilans d’aménagement ? L’exercice fut d’autant plus déstabilisant que cette intervention avait lieu le 28 mars 2023, dixième journée de manifestation contre les retraites, et que les fumées des poubelles brûlées et des gaz lacrymogènes dans les rues proches de l’Ile de Nantes interrogeaient sur les manières de faire ville dans un contexte de forte conflictualité.
Deuxième exemple : chaque année, nous présentons à nos étudiants de Sciences Po ce schéma sur la création de valeur dans la chaîne de l’aménagement et de l’immobilier. Nous montrons comment, traditionnellement, la création de valeur entre une terre agricole qui vaut peu (« € ») et un morceau de ville qui vaut beaucoup (« €€€ ») permettait l’intervention des aménageurs et des promoteurs. Nous indiquons ensuite que le « recyclage urbain », qui ne génère pas ce différentiel de valeur financière, oblige à des mouvements amont-aval sur la chaîne de valeur (pour une présentation en moins de 2 minutes de ce schéma, voir ici notre intervention à la Fondation Palladio).
Or, pour la première fois, s’entendre énoncer comme une évidence que la valeur du foncier agricole est « faible » est apparu bien discutable. Sans parler du fait que le vocabulaire lui-même se modifie : utiliser le mot « foncier » plutôt que « sol » n’emporte pas les mêmes implications. On en reparlera dans notre note sur la valeur pour le Réseau National des Aménageurs à paraître au premier trimestre 2024.
Troisième exemple : qu’il s’agisse de l’eau potable, de l’assainissement, de la mobilité, des déchets ou des réseaux de chaleur, le dimensionnement et le financement de ces services urbains reposent fondamentalement sur l’hypothèse que les quantités consommées (m3 d’eau, tonnes de déchets traitées, KWh consommés, etc.) vont continuer à augmenter. Mais cette hypothèse, au cœur du modèle économique de ces services urbains, est implicite et rarement rappelée. Or elle est aujourd’hui fortement remise en cause : la baisse des quantités facturées est dans la plupart des cas l’hypothèse la plus probable. Ceci a des implications très fortes pour les collectivités locales et les opérateurs de ces services, mais un préalable est déjà de prendre conscience que cette hypothèse implicite est un présupposé qu’il faut questionner. On continuera à le faire avec notre Etude sur les modèles économiques urbains au défi de la sobriété, réalisée avec Partie Prenante et Espelia, et avec le financement de l’ADEME, du PUCA et de la Banque des territoires, qui se poursuit désormais pour une nouvelle saison.
Sous l’effet des transitions écologique, numérique, sociétale, la fabrique de la ville change, et les modèles évoluent (voir notre schéma sur « les renversements de paradigmes de la fabrique urbaine », à paraître en février 2024 dans notre prochain Carnet d’économie urbaine). C’est pour cette raison qu’ibicity croit à la nécessité d’articuler des missions opérationnelles (appui stratégique auprès d’aménageurs ou collectivités, montage financier et audit de projets urbains, etc. Par exemple en 2023 pour Grand Paris Aménagement, l’EPAMarne ou l’Etablissement Territorial Boucle Nord de Seine) et des missions de recherche exploratoire et de dévoilement des mécanismes qui sous-tendent la fabrique urbaine, par exemple, notre étude pour Idhéal : « transparence sur les ZAC » – jusqu’où l’acquéreur de logements finance-t-il ses voisins, son quartier et la non-artificialisation ? (preuve que le dévoilement intéresse, plus de 500 personnes sont inscrites au webinaire de présentation de l’étude !).
ibicity, qui, il y a quelques années, s’interrogeait sur la nécessité d’apprendre à compter le carbone et les libellules plutôt que les euros, croit aussi que la dimension économique, à condition de ne pas être abordée de manière réductrice, devient plus que jamais nécessaire : à la fois comme une condition pour financer la transition écologique, mais aussi comme une condition pour la faire advenir d’une manière considérée comme équitable par ceux qui la mettent en oeuvre (les décideurs publics) ou la vivent (les habitants) – en 2024, il faudra bien aussi traiter la question des « quartiers populaires » pour éviter de nouvelles violences urbaines. Par ailleurs, urbanisme et économie ont en commun la question du partage, respectivement, de l’espace et des raretés, or cette question est cruciale et éminemment politique.
**Il faut effectivement naviguer sur le Tage pour se rendre compte qu’il s’agit d’une véritable mer intérieure, comme l’évoquait le géographe Strabon il y a 2000 ans… qui mesurait en stades :
« Le Tage, large de 20 stades environ à son embouchure, se trouve avoir en même temps assez de profondeur pour que les plus gros transports du commerce le puissent remonter ; et comme, à la marée haute, il forme, en se répandant sur les campagnes qui le bordent, deux espèces de mers intérieures d’une étendue de 150 stades, toute cette portion de la plaine se trouve par le fait acquise à la navigation ».