Avec qui ferons-nous le Grand Paris demain ?
Le Club Ville Hybride du Grand Paris organisait hier une conférence sur les évolutions attendues pour le Grand Paris à l’aube du nouveau quinquennat, autour notamment de Patrick Braouzec (Président Plaine Commune), Jean-Louis Missika (adjoint ville de Paris) et Julien Sage (adjoint ville de Nanterre).
Le lieu valait le détour, et les échanges furent très chaleureux et variés.
Michaël Silly nous avait demandé d’interpeller les élus, ce que nous avons fait bien volontiers. Voici notre interpellation.
Vous avez beaucoup parlé des acteurs publics du Grand Paris, mais ce ne sont pas les seuls acteurs. Et la question que je voudrais partager, c’est : avec quels grands acteurs privés ferons-nous le Grand Paris demain ?
Il me semble qu’il y a deux grandes hypothèses.
Une première hypothèse c’est de dire que ce dont on a prioritairement besoin pour faire le Grand Paris c’est d’argent, et notamment d’argent qui puisse être investi sur du long terme. On se souvient qu’il y a pile deux ans, la création de Business France avait pour but d’attirer les fonds souverains étrangers pour venir financer les projets du Grand Paris. Est-ce que cette piste est appelée selon vous à se développer ? Et, si c’est le cas, avec quelles conséquences en matière de réorganisation du jeu d’acteurs. Est-ce qu’en particulier ces investisseurs, qui investissent sur des tickets de plusieurs centaines de millions d’euros, peuvent se substituer à d’autres acteurs comme les aménageurs publics ?
Une deuxième hypothèse prend acte du fait que la révolution numérique a eu lieu, et que le moteur de l’économie a changé. Et ce qui serait clef alors, ce n’est plus l’argent, mais la capacité à optimiser le fonctionnement de la ville et à améliorer les usages de la ville, en jouant de 3 leviers principaux qui sont : 1) la capacité à activer la multitude (cf. toutes les initiatives d’économie du partage que l’on vient de citer, ou encore en tenant compte que la somme des voitures individuelles partagées devient une nouvelle infrastructure de transport) ; 2) la capacité à intervenir en temps réel, pour limiter par exemple les pics de consommation d’énergie ou d’embouteillage 3) la capacité à faire du sur-mesure à grande échelle (en proposant un parcours adapté à chacun).
Multitude, sur-mesure, temps réel : qui est capable aujourd’hui de les activer ? Ce sont des agrégateurs, des plateformes, qui sont capables de se placer au plus près de l’usager-habitant et d’agréger plein d’offres éclatées. L’exemple type, c’est Google, par exemple avec son offre Flow, qui rassemble toutes les options de transport – bus, trains, VTC, vélos, autopartage… -, ainsi que les places de parking disponibles, avec une solution de paiement mobile intégrée. Et l’on voit bien que potentiellement ce type d’acteurs est en train de concurrencer les collectivités locales dans ce qui était leur fonction première, le rôle d’autorité organisatrice.
Et donc, ma question est : comment vous vous positionnez par rapport à ces deux hypothèses ? Quel rôle vous aurez à jouer par rapport à ces nouveaux acteurs ? Qui pilotera le Grand Paris demain ?
Jean-Louis Missika et Patrick Braouzec se sont bien volontiers pliés à l’exercice. On trouvera ci-après quelques éléments saillants de leurs réponses.
Pour Jean-Louis Missika, la vraie question est de savoir ce que les villes peuvent laisser à la main des opérateurs de plateforme et ce qu’elles doivent conserver dans leur main (voir notamment son interview sur la donnée ici). Concernant la question des acteurs privés du futur, il note qu’on est aujourd’hui dans une situation intéressante où les grands opérateurs de réseaux urbains (Engie, Enedis, GRDF, les compagnies d’eau…) ont senti passer le vent du boulet de l’intermédiation (avec des spécialistes qui ont essayé de se faufiler dans la relation directe entre ces acteurs et les usagers) et doivent désormais faire leur mue, alors même qu’ils sont souvent fragiles financièrement. Un autre sujet émerge : les grandes structures type Syctom ont besoin de se métropoliser, et ces sujets-là ne pourront être traités qu’au niveau de la métropole.
De son côté, entre l’hypothèse 1 et l’hypothèse 2, Patrick Braouzec choisit sans hésiter l’hypothèse 2. Avec un vrai risque de dérive, celui d’une privatisation de la ville au sens de : jusqu’où va-t-on dans l’individualisation et comment crée-t-on du commun même dans l’individualisation. Le communisme n’a pas pu articuler individu et commun. Et la question qui nous est posée c’est celle du commun.
A lire également nos précédents billets :
– La collectivité doit redéfinir sa place d’agrégateur d’intérêt général
– Financer la ville à l’heure de la révolution numérique
– Qui paiera la ville demain ?
– Faut-il encore subventionner les transports publics ?
– Les fonds souverains moyen-orientaux : d’Uber jusqu’au Grand Paris
– Avec qui ferons-nous la ville demain ?