Appel à idées : Réinventons les noms des rues du Grand Paris 2
Nous l’avions déjà annoncé l’an passé, mais la Covid a conduit à un décalage d’une année. C’est donc finalement demain que la Ville de Paris, la Région Ile-de-France, la Métropole du Grand Paris et La Poste annonceront le lancement de l’Appel à idées : « Réinventons les noms des rues du Grand Paris ». ibicity vous propose ci-dessous quelques éléments de décryptage. Le communiqué de presse (lien à la fin du billet) mérite absolument d’être lu !
Cet appel à idées s’inscrit à l’intersection de trois grandes tendances.
Première tendance : la poursuite de la vague des “appels à projets” et des “réinventons” qui se maintient depuis le premier « Réinventer Paris » en novembre 2014 (le dernier en date étant celui de novembre 2020 pour réinventer les sous-sols de Paris) ;
Deuxième tendance : l’utilisation de la toponymie comme instrument politique. Là encore un bon exemple nous est donné par la Ville de Paris, qui a décidé l’année dernière de rajouter aux noms des rues portant le nom d’une femme leur prénom, pour ne plus les invisibiliser (seulement 12% des noms de rues à Paris portent le nom d’une femme).
(Exemple de la rue de Rochechouart, devenue “rue Marguerite de Rochechouart – 1665-1727 – Abbesse de Montmartre”)
Troisième tendance : la recherche de nouvelles formes de participation citoyenne, alors même que la fabrique de la ville se fait de plus en plus par l’aval. En l’occurrence, le nouvel appel à idées prévoit que des habitants, réunis ou non au sein d’associations ou de collectifs, pourront y participer.
Ainsi, comme l’indique le communiqué de presse : le nouvel appel à idées vise à (enfin) incarner concrètement l’identité commune des « grands parisiens » et à inscrire physiquement et mentalement l’idée du « Grand Paris ». (Gageons sans doute aussi qu’à moins d’un an des élections présidentielles, les futures candidates que sont la Maire de Paris et la Présidente de la Région Ile-de-France souhaitent afficher une ouverture trans-partisane…).
Enfin, La Poste y voit un intérêt opérationnel : éviter les (rares) erreurs d’adressage de courrier liées par exemple à la multiplicité des voies (rues, boulevards, avenues) « De Gaulle » ou « Jaurès » dans les communes d’Ile-de-France.
Mais alors que la crise épidémique devrait avoir des impacts majeurs sur les finances locales, cet appel à idées poursuit également un autre objectif, celui de générer de nouvelles recettes financières publiques. Le communiqué de presse précise en effet :
“les noms des voies seront mis aux enchères grâce à un double mécanisme : crowdfunding pour les rues et venelles, afin de permettre une forte implication citoyenne ; naming pour les avenues et boulevards, pour maximiser les recettes”.
Sur la base de premières approches auprès de grands groupes français et internationaux, les ressources financières potentielles sont évaluées à plusieurs centaines de millions d’euros, permettant notamment de compléter le sauvetage des transports publics d’Ile-de-France, ou encore de compenser les pertes financières de La Poste liée à la chute historique de son activité courrier.
Le communiqué indique également que de nouvelles précisions seront prochainement apportées dans le règlement sur la fréquence des changements de nom : tous les 50 ans, tous les 10 ans, tous les ans ? Une rotation fréquente serait en effet une source de recettes financières à chaque changement de nom, voire une manière de créer des évènements festifs permettant de fédérer les habitants du quartier et de donner corps à la désormais fameuse « ville du quart d’heure » chère à Carlos Moreno (voir ci-dessous les expériences de la RATP en la matière). On pourrait ainsi imaginer qu’une rue change de nom un jour par an le jour de la Fête des voisins, ou pendant une heure le jour du changement d’heure d’hiver.
(Un peu écorné mais bientôt collector)
Il est certain en tout cas qu’aucun obstacle technique ne se heurte désormais à cette évolutivité fréquente des noms de rues, puisque cela fait déjà plusieurs années que les habitants des villes ne se repèrent plus dans la ville avec des guides papier (ne jamais se penser “indispensable” !), mais utilisent sur leur smartphone l’application Google Maps dont les plans peuvent être actualisés en temps-réel (cf. Google Apps super-app ? Egalement notre article dans la revue L’Economie politique), tandis que les bases adresses de La Poste, mais aussi celles d’Amazon ou Deliveroo sont également actualisables en temps réel. Le communiqué de presse se veut d’ailleurs rassurant : “Les habitants du Grand Paris pourront continuer à se faire livrer leurs sushis à domicile”.
(Scène représentant une petite partie du temps passé sur un trottoir par un livreur Deliveroo pour livrer jusqu’au domicile… d’où l’hypothèse d’une nouvelle occupation du trottoir dont nous vous parlons ici)
De même, alors que les trottoirs d’une même rue peuvent se retrouver dans deux arrondissements ou deux communes différentes, la question devra être tranchée de savoir s’il sera possible, ou pas, de nommer différemment les côtés pairs et impairs des rues. Il sera alors intéressant de voir si, comme pour les commerces des Champs-Elysées, les côtés des rues avec les trottoirs au soleil verront leur valeur financière majorée.
COMMUNIQUE DE PRESSE : Pour lire le communiqué de presse conjoint de la Ville de Paris, la Région Ile-de-France, la Métropole du Grand Paris et La Poste, c’est ici.
A lire également, nos précédents billets :
Sur La Défense, et la différence entre l’adresse postale et l’adresse géographique : ici
Sur la manière dont, comme La Poste qui devient un opérateur immobilier (voire opérateur de quartier), les écosystèmes immobiliers se recomposent : Startups, tiers-acteurs et nouveaux écosystèmes immobiliers
Sur le #temps-réel au coeur des nouveaux modèles économiques urbains : notre mode d’emploi
Sur la nouvelle fabrique des espaces publics : notre note pour le Réseau National des Aménageurs
Sur les trottoirs (forcément !) : notre capsule vidéo “21 minutes sur le trottoir” ou un billet sur le trottoir au coeur de l’innovation urbaine et du positionnement stratégique des aménageurs.
Et bientôt… une rue ibicity ?
Ci-dessous les noms de rues les plus donnés en France, avant l’appel à réinventer les noms des rues du Grand Paris (source : Slate)
Les noms en couleur sont ceux d’une femme : Marie Curie, Jeanne d’Arc, Marie Curie à nouveau mais avec son mari, George Sand, Curie à nouveau, mais cette fois-ci Irène (avec son mari) et… Notre-Dame.
Et aussi quelques photos sur la RATP et les changements de noms des stations de métro : dans notre billet de l’an passé.
A voir aussi, sortie hier, la vidéo “Ce que les noms de rues révèlent de nos villes” du joyeux et stimulant Pop Up Urbain.