Il faut lire Le tsunami numérique, le passionnant livre du directeur de la rédaction de l’Etudiant. Il concerne le secteur de l’éducation, mais les bouleversements qu’il décrit (individualisation de l’enseignement et des parcours, marchandisation de l’éducation,…) peuvent être assurément transposés au domaine de la ville.
Extraits (c’est nous qui soulignons) :
« Si ce tsunami produit sur l’éducation les mêmes effets que l’industrie de la presse, du disque ou de la distribution – précédentes cibles, qui restèrent trop longtemps confites dans leur modèle économique et leurs tranquilles certitudes -, trois conséquences affecteront demain les enseignements primaire et supérieur, après-demain l’enseignement secondaire : un changement de modèle économique conduisant à une baisse des tarifs du privé, donc à un changement radical des termes du marché scolaire et universitaire ; une prise de pouvoir définitive du consommateur d’école sur le citoyen usager du service public ; la montée en puissance des organisations collaboratives au détriment des structures plus pyramidales ».
« La suite de l’histoire s’écrira beaucoup plus vite. Elle est prise en main par un écosystème redoutablement efficace, qui sait combiner les approches technologiques, commerciales, psychologiques et comportementales. Elle est en revanche suffisamment ouverte, à ce jour, pour que nous puissions participer à son élaboration. L’aspect technologique y tiendra une place importante, mais probablement moins décisive que la disposition au changement ».
« Le numérique permet cette industrialisation de l’individualisation ».
« La révolution numérique est sur le point de bouleverser le modèle éducatif, comme elle a bouleversé tous les modèles auxquels elle s’est attaquée ».
« Cela passe par une remise en cause radicale de l’actuel modèle élitiste, centralisé et en silos qui caractérise le fonctionnement et, plus encore, le mode de pensée de l’Education nationale. En matière de numérique, cet état d’esprit ne pardonne pas ».
« La question qui se pose est avant tout politique. Quelle serait en effet, dans ce cas, la place de l’enseignement public ? Il y aurait le risque qu’il n’accueille plus que les « très riches », surreprésentés dans les classes préparatoires et les grandes écoles, et les « très pauvres » qui, en dépit des baisses de tarif du privé, n’auraient pas le choix. Que ces évolutions puissent advenir en l’absence de tout débat public me semble assez affolant ».*
En fermant ce livre, on se demande s’il n’y pas un paradoxe dans la manière dont l’Etat français promeut aujourd’hui, via la ville durable, la ville intelligente.
Evidemment, on ne peut que saluer une initiative comme Vivapolis (qui permet aujourd’hui à un consortium d’entreprises françaises de participer à la construction de deux écoquartiers en Chine). Mais en faisant des acteurs privés français les principaux champions de la ville intelligente à l’étranger, sans ouvrir en même temps une large réflexion sur les effets du numérique sur les modes de production et de gestion des services publics locaux en France, ne risque-t-elle pas d’accélérer davantage la « privatisation » et la « marchandisation » de la ville, en donnant les clefs de la ville intelligente aux acteurs privés ?
Car c’est là un autre paradoxe : alors que l’intervention des acteurs privés dans les métiers traditionnels des villes (fabrique des projets urbains, gestion de l’eau, des transports, etc.) est souvent excessivement décriée, a contrario, l’hégémonie des acteurs privés dans la fabrique de la ville intelligente (qui, par la force des choses, n’est pas une compétence historique des collectivités) est rarement questionnée.
A quand un « Bureau de la ville intelligente et numérique », comme à Montréal ?
Sources :
Le tsunami numérique – Emmanuel Davidenkoff – Stock – 2014
- « Les écoles low cost vont réduire l’avantage du public et de sa gratuité ». Entretien avec Emmanuel Davidenkoff. Le Monde. 27 mars 2014
"Paris veut vendre des villes durables à Pékin" - Le Monde - 26 mars 2014
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