Si vous avez un jour traversé le Faucigny, une des provinces historiques de la Savoie, vous vous rappelez sans doute la vue majestueuse sur les sommets enneigés des Alpes, les petites bergeries typiques en pierre et en bois, les hôtels face au massif du Mont-Blanc… Mais, au-delà de cette vision de carte postale, vous avez peut-être aussi croisé, comme Eric Tabuchi et Nelly Monnier, de faux chalets qui cultivent le look vintage, des appartements pour skieurs aux allures de clapiers, un camion de kebab rouge pétard, un dépôt de télécabines…
Pour leur Atlas des régions naturelles, le duo de photographes a tout capté, sans préjugés. « Notre idée de base, c’est de faire bouger la ligne de ce qui appartient au registre du beau et du laid, souligne Eric Tabuchi. Pour nous, il n’y a pas de hiérarchie entre un château, une église, un supermarché ou une station-service. La beauté proclamée et entretenue a tendance à nous ennuyer. »
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Tous deux se sont rejoints dans l’idée de réenchanter ce qui se trouvait juste sous leurs yeux. « Dans l’histoire de la photographie, il est toujours question d’exotisme et de dépaysement, souligne Eric Tabuchi. Mais pourquoi faudrait-il aller chercher ses images à l’autre bout du monde ? Nous, nous allons lentement, et pas loin. » Ils se réfèrent à l’Américain Walker Evans et à l’Allemand August Sander, qui, au siècle dernier, avaient pris comme objet leur propre pays.
Pour organiser leur drôle de campagne de France, les deux artistes ont délaissé le découpage administratif classique, préférant s’appuyer sur des territoires historiques aux contours bien plus flous et subjectifs : les régions naturelles. Dans les deux tomes de son Guide des pays de France (Fayard, 1999), Frédric Zégierman recense près de 450 de ces micro-territoires aux noms chatoyants – les Mauges, le Velay, le Volvestre – qui se sont construits au fil des siècles à partir de réalités géologiques.
« La nature des sols a entraîné une agriculture spécifique, une architecture, des activités et des industries particulières, ce qui a donné naissance à une identité locale qui reste aujourd’hui vivace, explique Nelly Monnier. Les gens se sentent profondément beaucerons, béarnais, morvandiaux. » Avec leur Atlas, les deux artistes sont en fait partis sur les traces de la résistance à la normalisation, à l’uniformisation. « On n’est ni historiens ni géographes, mais ce travail est un peu une réaction à l’hypercentralisation de la France, note Eric Tabuchi. Et à l’idée selon laquelle le monde se rétrécit à cause de la globalisation. »
Dans chaque région qu’ils traversent, les deux artistes suivent à la fois leur instinct – « on adore se perdre » – ainsi qu’un protocole très précis – 50 images sont retenues pour chaque région, ni plus ni moins. Partout, ils cherchent le bâtiment isolé, celui qui fait sens dans le paysage, qui symbolise une époque, une activité. « On repère d’abord le bâtiment traditionnel, construit avec le matériau local, comme la bergerie en lauze du Larzac, raconte Nelly Monnier. Et ensuite on capte les évolutions, pour arriver au présent. On photographie tout, y compris les choses les plus critiquables. »
Le résultat étonne. « Notre projet, c’est à la fois un conservatoire des formes traditionnelles et un annuaire de la banalité », analyse Eric Tabuchi. Dans l’Atlas, on trouve côte à côte les lotissements en parpaing et les cabanes de vigneron, la centrale nucléaire et le cinéma moderniste, le skate park et le tas de bois – un mélange aussi réjouissant que déprimant. (...)
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