ibicity était invitée la semaine dernière à intervenir au Colloque sur La Fabrique de la Ville Durable organisé au Caire par l'Institut Français d'Egypte. Nous publierons prochainement quelques billets sur cette ville fascinante. En attendant, nous mettons en ligne la première intervention qu'il nous avait été demandé de faire : une typologie simplifiée des différentes figures de la coproduction public-privé des projets urbains en France... en 15 minutes. C'est donc une présentation très schématique que nous avons faite, à destination d'un public étranger.

L’idée de cette présentation, c’est de montrer, à partir du cas français, qu’il n’y a pas un modèle unique de coproduction, mais qu’à chaque fois le projet doit s’adapter aux conditions du projet, et, en particulier à ce qui permet la création de valeur, notamment financière.

De manière très schématique, on peut distinguer trois grandes figures de coproduction public-privé du projet urbain.

La première figure - c’est celle qui a prévalu historiquement – correspond au fait que le projet urbain prend place sur des terrains vierges, souvent des terres agricoles, pour les transformer en nouveaux quartiers.

Ce processus de transformation est mis en œuvre via un montage qui implique successivement cinq grands acteurs, dont deux principaux.

On d’abord le ou les propriétaires de terres agricoles qui vont vendre leur foncier à un aménageur.

Ensuite, on a l’aménageur – c’est un terme difficile à traduire en anglais car c’est une spécificité assez française -, qui est très étroitement lié à la collectivité locale, et qui a pour objet la transformation d’une zone d’une certaine taille (en général plusieurs dizaines d’hectares). Il définit le programme de l’opération (nombre de surfaces construites, répartition entre logements, bureaux, commerces, etc.) ; fait l’écriture urbaine avec un architecte-urbaniste ; réalise les infrastructures, voiries et raccordements aux réseaux, et découpe le foncier en lots (traditionnellement des parcelles) qui seront ensuite vendus aux promoteurs.

Les promoteurs interviennent ensuite pour définir le programme à l’échelle du bâtiment, concevoir le projet architectural, et le réaliser. Puis, ils vendent les surfaces de plancher construites à des investisseurs qui les louent à des occupants (à moins que les occupants ne soient propriétaires, auquel cas les figures de l’investisseur et de l’occupant se confondent).

Ce qui rend ce montage possible financièrement est le fait que les surfaces urbanisées ont une valeur très supérieure à celle des terres agricoles, qui permet d’absorber les coûts de fabrication.

Cette valeur est créée par le processus de production et elle permet notamment à l’aménageur (donc à la collectivité locale) de créer de la mixité programmatique et sociale, et de financer les infrastructures et les équipements publics.

Cette figure correspond à un jeu d’acteurs très séquentiel.

Passons maintenant à la figure 2.

Qu’est-ce que qui se passe ? Il y a une vingtaine d’années, une prise de conscience des enjeux environnementaux s'opère. L’idée est de favoriser la ville durable, notamment en luttant contre l’étalement urbain et en favorisant la ville compacte, qui doit donc se reconstruire sur elle-même.

Donc, la matière première du projet urbain, ce n’est plus de la terre agricole, mais des morceaux de ville existante, qui sont devenus obsolètes.

L’inconvénient, c’est que d’un point de vue strictement financier, cela coûte plus cher de produire la ville sur la ville.

Et, du coup, la création de valeur va se faire différemment. Via la densité. Et via le fait que la prise en charge de la mixité et le financement des équipements va se faire autrement, de manière plus faible ou avec un transfert sur l’opérateur privé.

Et surtout, la création de valeur va se faire par une plus grande collaboration entre acteurs. Notamment, par exemple, aménageurs et promoteurs vont travailler de manière plus étroite, pour mieux penser le projet, et permettre notamment des mutualisations, en termes énergétiques ou de stationnement.

La dernière figure découle d’une évolution, à la fois des mentalités et des techniques, qui conduit à une plus grande hybridation entre les secteurs. Comme l’a évoqué l’intervenante d’Amman ce matin, les déchets servent à produire de l’énergie, et le numérique permet de gérer les réseaux plus efficacement en fonction de l’usager.

Cette idée de travailler ces sujets de manière intégrée, c’est au fond l’objectif de la smart-city, laquelle concerne aussi bien les villes nouvelles que la ville existante. C'est que montre l’illustration à droite, qui représente le projet de Google pour Toronto au Canada.

La valeur de la smart-city, c’est d’abord l’optimisation. Par l’approche intégrée. Et par la capacité à agir au plus près de la demande de l’usager. C’est que j’évoquerai en détail demain matin.

Elle se traduit par un glissement de la valeur vers l'aval.

J’ai appelé cette figure « rubiscube » car l’hybridation entre les secteurs se traduit par le fait que de nouveaux maillons apparaissent sur la chaîne de valeur : smart-grid, éclairage intelligent, maquette numérique, etc. Et de nouveaux entrants, souvent des starts-up innovantes, se positionnent sur ces nouveaux maillons, et peuvent ensuite se positionner en amont ou en aval. Donc, on a des chaînes qui se croisent, et c’est précisément ce qui définit un écosystème.

Donc, la smart-city mobilise plein de start-ups innovantes, mais, fondamentalement, quatre acteurs sont clefs. Le premier c’est la collectivité locale, qui doit repenser ces leviers d’action pour maîtriser ce processus de fabrication des projets devenu plus complexe. Le deuxième, c’est l’opérateur ensemblier, qui, en France, est souvent issu d’un groupe de BTP et agrège les différents starts-up. Le troisième, ce sont les plateformes, qui sont capables de se placer au plus près de l’usager, et de lui offrir des services au plus près de sa demande, et par ce biais de contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur. Et enfin, le quatrième, ce sont les habitants, qui interviennent de manière plus active dans la fabrique de la ville.

En conclusion, l’idée c’était de montrer qu’il y a une pluralité de modèles, avec, à chaque fois, un montage qui peut et qui doit s’adapter au contexte du projet et à ses objectifs politiques et urbains.

Dit autrement, le montage public-privé est un outil au service du projet. Le préalable est de définir ses objectifs en matière de forme urbaine (plus ou moins de densité, échelle d’intervention des promoteurs – parcelle, macro-lot, ou lot XXL), de mixité programmatique et sociale, de niveau d’infrastructures, et du caractère public ou privé de ces infrastructures et équipements, et enfin du niveau de maîtrise du projet que la collectivité locale souhaite avoir.

Mais pour que cela marche, il y a une condition : sortir d’une approche souvent très manichéenne (en France, on a souvent tendance à opposer public et privé), et ne pas enfermer les acteurs dans une case.

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Notre intervention était trop courte pour évoquer une variante de la figure Rubik's Cube, celle où justement le jeu d'acteurs est complètement structuré par la plateforme-agrégateur qui se trouve en aval, et qui par sa maîtrise de l'aval est capable de contrôler les autres maillons de la chaîne. On cherchait comme l'appeler. Peut-être une idée, qui nous a été suggérée par le lieu de la conférence : le Pyramid Cube, avec la pointe orientée à droite ! (Précisons que le jeu existe réellement.... sur Amazon par exemple ! : ici)

Ces sujets sont largement développés dans notre blog. Deux billets pour aller plus loin :
Acteurs privés de la ville, saison 4, avec ici une liste de nos principaux billets sur le sujet.
Avec qui ferons-nous la ville demain ?
La ville en morceaux ou la généralisation des macrolots

Ajout de septembre 2018 : lire notre étude "Modèles économiques des projets d'aménagement - Jeu des acteurs et formes urbaines" pour l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme qui approfondit ces sujets.