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« S’il voit le jour, ce projet sera l’un des plus importants chantiers miniers en France métropolitaine depuis plus de cinquante ans. La Commission nationale du débat public (CNDP) a présenté, lundi 30 septembre, la synthèse de ses travaux concernant le projet de mine de lithium dans l’Allier, porté par le groupe Imerys. Dénommé Emili (pour « exploitation du mica lithinifère ») et d’un montant estimé à un milliard d’euros d’investissement pour l’industriel français, ce programme a fait l’objet d’un débat public durant cinq mois qui s’est terminé fin juillet, marqué par une forte participation citoyenne – plus de 3 000 participants aux douze réunions publiques – mais aussi par des tensions de la part de ses opposants ». (« Le projet de mine de lithium dans l’Allier suscite de nombreux doutes sur les choix de l’Etat » – Le Monde – 1 octobre 2024).

Que penser de ce projet ? Parmi les arguments en sa faveur, il y a celui-ci : « mieux vaut que cela se fasse ici [en France] plutôt qu’ailleurs, parce qu’ici c’est propre » (*). Et puis, là où a lieu le projet, c’est « le trou du c. du monde », comme m’a répondu récemment un ingénieur parisien que j’interrogeais sur le projet (corroborant le propos de Philippe Estèbe lors de la conférence « Territoires oubliés » (**) sur le fait qu’une des valeurs des territoires « vides », c’est qu’ils sont justement vides d’opposants potentiels).

Mais voilà ! Il se trouve que le projet se situe à 15 kilomètres d’Ebreuil, petit village que je connais bien pour y passer depuis plusieurs décennies mes vacances dans la maison qui était auparavant celle de mes grands-parents. Et ma crainte est de voir fleurir des centaines de pavillons mitant le paysage autour de ce joli village qui se situe sur le chemin entre Echassières (le site du projet) et la sortie 12 de l’autoroute A71 qui permet de rejoindre Clermont, Vichy ou Montluçon (d’où des installations fréquentes de couples travaillant à deux endroits différents dans la région).

Mais aussitôt, une autre crainte surgit : n’est-ce pas un raisonnement totalement NIMBY (Not In My BackYard – pas dans mon jardin) d’une personne égoïste qui privilégie avant tout la beauté de ses promenades à vélo le long de la route qui, montant vers Lalizolle, permet d’apercevoir la chaîne des Puys et surplombe les champs vallonnés qui dominent les gorges de la Sioule (où sera prélevée l'eau alimentant la mine) ? La préservation du paysage pour une urbaine en mal de campagne (***) « intacte » (****) est-elle légitime pour une « habitante secondaire » (et non "principale") qui, du fait de l’intermittence de sa présence, n’est pas sensible aux promesses locales du projet : maintenir des classes ouvertes dans les écoles, et créer des emplois qui permettent aux jeunes qui veulent rester sur le territoire d’y rester ?

C’est forte de ces questions que je me suis retrouvée hier dans un lieu que je n’ai guère l’habitude de fréquenter, le siège de l’Union Syndicale Solidaires Paris, dans le 10ème, qui organisait une projection du film « Transition sous tension » (repéré via le programme des rencontres du Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges), de Violeta Ramirez, une « enquête anthropologique » filmée en 2023 qui restitue les manières dont les habitants réagissent à ce projet.

Le documentaire, qui donne à voir la pluralité des points de vue des habitants, est passionnant car il montre tous les débats que soulève ce projet hors norme, avec, comme conséquence, des divergences et des convergences de points de vue qui dépassent les clivages habituels. Par exemple : « la CGT est très divisée et serait plutôt pro-mine avec des adaptations à la marge », dixit une des responsables de la Commision Ecologie Solidaires 75 qui organisait le débat, tout aussi passionnant (merci !), à l’issue de la projection.

Premier paradoxe : « plus où on s’approche de la mine, plus les gens sont d’accord avec le projet », explique un des animateurs de Solidaires Allier qui lutte contre le projet, et qui en conséquence appelle à « nationaliser le débat, pour grossir les troupes manifestantes ». Ce constat, contradictoire avec l’idée du développement du Nimby, s’expliquerait notamment par l’importance de l’identité minière des habitants (une mine de kaolin avait été ouverte à cet emplacement en 1848), la nostalgie d’un « âge d’or » ancien d’avant le déclin de la population (370 habitants aujourd’hui contre 1259 à son maximum en 1886), la confiance dans l’Etat et les retombées économiques et de services publics pour le territoire. « Les gens veulent des mines pour sortir de leur marginalisation territoriale », dixit Caroline Weill, membre de Solidaires travaillant sur les mines au Pérou.

Autre paradoxe mis en avant : « pour lutter contre le changement climatique (le lithium doit servir aux batteries pour les voitures électriques), on fait appel à l’industrie qui est la plus polluante, l’industrie extractive ».

Autre point qui crée des débats : le « ici / ailleurs » se joue ici à une triple échelle :

- l’échelle ultra-locale, déjà évoquée ;

- l’échelle nationale : pour le gouvernement et Imerys, le projet constitue une étape cruciale dans la quête de souveraineté énergétique française et européenne. Dans un contexte où la transition énergétique repose de plus en plus sur les véhicules électriques, le lithium devient un matériau stratégique

- l’échelle internationale. Car, au-delà du cas spécifique d’Echassières, « la question extractive se repose en France après cinquante ans d’externalisation », notamment au Pérou ou Bolivie.

En tout cas, à Echassières, ce que montre la dernière scène du documentaire, tous les habitants du village, quelles que soient leurs positions, doivent cohabiter.

Notes :

* Cf. par exemple le cahier d’acteurs de l’association « Préservons la foret des Colettes »

** "en matière de transition écologique le vide va avoir de plus en plus de valeur": à la 1'05''12 du replay de la conférence sur les "territoires oubliés" organisée par La Fabrique de la Cité, Think Tank de Vinci (dont ibicity est membre du Comité d’orientation), dans le prolongement du livre « Les territoires oubliés, un futur désirable » d’Ariella Masboungi et Guillaume Hébert (Le Moniteur, 2024)

*** « Je n’ai pas grand-chose à dire à propos de la campagne : la campagne n’existe pas, c’est une illusion. (…) J’aime être à la campagne : on mange du pain de campagne, on respire mieux, on voit parfois des animaux que l’on n’a pratiquement pas l’habitude de voir dans les villes, on fait du feu dans les cheminées, on joue au scrabble ou à d’autres petits jeux de société ». (Espèces d’espaces, Georges Perec)

**** Voir le travail prospectif de l’Audiar sur les transformations du paysage. Egalement la citation de Catherine Boisclair, urbaniste, citée dans « Redirection urbaine » de Sylvain Grisot (Editions Apogée, 2024) : « on savait que la crise climatique, la crise de la biodiversité et la raréfaction des ressources allaient amener des bouleversements. Mais les gens ne savaient pas que ça irait jusqu’à changer la fenêtre de leur chambre à coucher ».

Bref ! Ce débat, électrique s’il en est, n’est pas fini. En attendant de suivre l’évolution du projet, on trouvera ci-dessous un tableau de synthèse par thématique des positions des principales parties prenantes du projet. Réalisé pour ibicity par Nathan Benamouzig, récent diplômé de l’Ecole Urbaine de Sciences Po à Paris et de l’UCLA à Los Angeles à partir des sources indiquées sous le tableau.

Sources :

Egalement : tableau synthétisant les positionnements des cahiers d'acteurs (Annexe au compte-rendu)

NB : Ebreuil (ici à propos de la paréidolie) est également à l'honneur de la BD d'Etienne Davodeau Le droit du sol.

NB2 : le nom de Saint-Bonnet de Rochefort, à l'Est sur la carte ci-dessus, et où a été la prise la photo ci-dessous, qui doit accueillir une gare de chargement du Lithium extrait à Echassières, ne dira sans doute pas grand-chose aux lecteurs de ce blog. Et pourtant, c'est un "haut-lieu" de la littérature française. En tout cas l'émission "La Grande Librairie" ne serait peut-être pas tout à fait ce qu'elle est si Augustin Trapenard n'y avait pas eu la bibliothèque de son grand-père.

Ci-dessus : Arc en ciel à Saint-Bonnet de Rochefort, 3 août 2023

NB3 : Ebreuil figure également dans Trottoirs ! Une approche économique, historique et flâneuse. Un des premiers trottoirs y serait apparu vers 1910, devant l'épicerie Julien (plus de détail à la fin du billet "Que voit-on sur la première photo au monde où apparaît un humain ?)

(ce billet est susceptible d'évoluer dans le temps. Post linkedin associé : ici)

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