20 ans de réflexion sur les manières de changer les mobilités
Après l’analyse de 20 ans de bascules du numérique, le site de prospective du Grand Lyon, revient, sous la plume de Benjamin Pradel, sur 20 ans de réflexion sur les manières de changer les mobilités. A lire : ici.
Extraits :
Le passage d’une approche transport à une approche mobilité a une histoire. La Communauté urbaine de Lyon a d’abord aménagé la ville pour la voiture, puis s’est tournée vers le métro pour peu à peu forger une politique combinant tous les modes de déplacement, comme le rappelle l’épisode sur la mobilité du Podcast Rétro prospectif de la Métropole de Lyon de 2022. Cette politique s’est traduite par l’objectif de proposer à chacun selon ses besoins autour une ville multimobile, qui a donné lieu dès 2012 à un dossier du même nom. Le concept de ville multimobile reste d’actualité face aux impératifs sociaux et environnementaux. À la concurrence des modes de déplacement, est opposée une diversité de solutions dont l’efficacité est autant basée sur l’accessibilité sociale, économique, et la faible empreinte écologique, que sur la vitesse, tout en répondant à la diversité des modes de vie et des besoins de déplacement.
Cette multimobilité, traduite en 2012 par l’idée d’intermobilité par Pierre Soulard, alors responsable de la mobilité urbaine, prône tout à la fois la démobilité pour ceux qui le peuvent, la ville des courtes distances, mais aussi le découplage entre possession et usage des modes de transport. Elle invite aussi à repenser les catégories : celle de la voiture intelligente qui, plus que de trouver un stationnement et permette d’éviter les bouchons, soit capable d’inciter à se garer bien avant le centre-ville pour prendre les transports en commun, celle des transports publics individuels, et inversement, avec le partage des modes personnels ou l’individualisation des modes collectifs.
La multimobilité nécessite de travailler sur l’organisation technique des mobilités au sein de l’espace urbain. Des dispositifs sont mis en place très tôt par la Métropole de Lyon pour l’optimisation des déplacements, afin d’améliorer la mobilité sur les aspects de fluidité, de pollution, d’accès et des expérimentations. C’est le cas notamment d’Optimod’Lyon, service précurseur, qui dès 2012 explique Jean Coldefy, a comme objectif de concentrer l’ensemble des données de mobilité de l’agglomération, améliorer leur collecte et les traiter. Cette « centrale de mobilité », comme la nommait Pierre Soulard, doit fournir aux usagers de la prédiction de trafics, un navigateur urbain intermodal en temps réel et un calcul d’itinéraire. Si aujourd’hui Optimod’Lyon n’est plus, il a permis de faire aboutir Onlymoov.
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L’invitation à rééquilibrer la place des modes doux dans la ville faite par Gilles Vesco en 2004, alors vice-président chargé des nouvelles utilisations de l’espace public, va dans le sens d’une adaptation de la ville. Expliquant que déloger la voiture de l’espace public demande beaucoup de courage politique, l’élu milite pour un plan « modes doux » à l’échelle de l’agglomération avec, notamment, la fermeture des berges du Rhône aux voitures, prônée comme porte étendard d’une nouvelle manière de faire la ville, ou la réalisation du « réseau vert » cycliste. Le piéton et le vélo commencent alors à être mis en avant après des décennies de mise sur le côté, et plus spécifiquement sur le bas-côté et le trottoir. C’est sur cet espace et dans cette même interview que se dessine la future offre de vélo en libre-service Vélo’V qui sera effective en 2005 en vue de favoriser une nouvelle « culture du vélo ». Cet engagement fort, avant Paris, est un succès et contribue même au rayonnement international de Lyon.
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En matière de transition mobilitaire, la fabrique des espaces publics et l’urbanisme en général représentent un levier d’action important des politiques publiques. En arbitrant sur la gestion des lieux et l’affectation de l’espace, elles peuvent contraindre ou faciliter certains modes de déplacements et distiller un discours implicite sur les comportements vertueux attendues.
En 2002, une chronologie démontrait qu’une reconquête des rues lyonnaises avait été opérée depuis trente ans par des usagers et des modes de déplacement (piétons, tramways, vélos) qui en avaient été exclus lors de la reconstruction d’après-guerre. En 2004, Florence Larcher, alors cheffe de projet « circulation douce », démontre de son côté l’articulation forte entre la valorisation des modes doux et le traitement des espaces publics. Elle explique que les aménagements et les services agissant directement en faveur des piétons et des cyclistes favorisent ces pratiques. Dans cette veine, le Grand Lyon affiche dès 2007 sa volonté d’augmenter de 35% son réseau de pistes cyclables dans son Plan de Déplacement Doux. Cette reconquête de l’espace urbain est toujours en cours à travers la réorganisation continue de la place de chacun des modes, réduisant peu à peu l’hégémonie automobile sur la rue : construction de voies de tramway, multiplication des pistes cyclables et notamment des voies lyonnaises, extension durable et temporaire de trottoirs, pincement voire suppression de voies automobiles, couloirs de bus dédiés dont le succès et les limites sont analysés dans un travail à partir du modèle du Métro de Surface de Curitiba.
Faire cohabiter les mobilités pour changer les pratiques n’est pas seulement un enjeu de construction des espaces. Les manières de se déplacer sont liées à des manières de voir et vivre la ville, associées à des modes de vie, qui peuvent être sources d’oppositions nouvelles. Une étude de Benjamin Pradel de 2021, Comment faire cohabiter nos mobilités dans l’espace public ? explore ainsi ces conflictualités en invitant à une nouvelle philosophie sociale de la rue, à repartager l’espace disponible et à reconsidérer la place du numérique pour la gérer. Une autre piste, dans un espace disponible contraint, est de penser l’aménagement temporelle de la rue. Une autre étude de cet auteur forge le concept d’urbanisme dynamique décliné en sept types d’aménagement flexible des rues et des mobilités. Elle étudie la mise en œuvre de la ville malléable et la désaturation des rues explorées par Luc Gwiazdzinski dans un texte de 2020. Ces approches inscrivent la transition mobilitaire dans la nécessité de repenser le lien entre le « hard » du bâti des espaces et le « soft » de leur utilisation.
Pensés en termes de support d’usages, les espaces publics se révèlent ainsi très convoités, et l’organisation des mobilités de demain est aussi une question de changement de regard. En 2005, Christian Gonson explique que le rôle de la direction de la voirie n’est déjà plus seulement de « bitumer » la ville, mais de valoriser ce qui apparaît comme un « patrimoine » à entretenir et faire fructifier pour la collectivité. Plus de 15 ans après, la pertinence de cette approche est confirmée par Isabelle Baraud-Serfaty dans son étude sur le « curb management » et la valeur du trottoir, parue en 2021. Elle démontre combien un nombre toujours plus important d’opérateurs privés, de Uber à GoogleMaps, envisagent la rue comme un support de création de valeur. Le rôle de la Métropole de Lyon dans ce jeu des acteurs n’en est que plus important pour dessiner les rues de demain et les mobilités associées. Nicolas Nova a tenté cette exploration dans « Et si demain… ? » 25 projections sur la mobilité et l’espace public, questionnant les impacts et limites de la transition mobilitaire sur les rues, entre innovations techniques, partage de l’espace et cohabitation des modes, révélant parfois des conflits à venir.
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