L'IHEDATE (Institut des hautes études en aménagement et développement des territoires en Europe) publie son "Annuel 2015".
C'est un numéro très riche qui pourrait presque se laisser picorer sur la plage. Au menu, un article sur la financiarisation de la ville avec Ludovic Halbert, sur le Port de Dunkerque qui devient aménageur, sur un modèle allemand du développement territorial de l'industrie, et plein d'autres... dont une contribution de notre part sur "les acteurs privés de la ville, épisode 3".
L'article est disponible en PDF (ici) ou lisible ci-dessous.
Les deux premiers épisodes avaient été racontés dans l'article que nous avions publié dans la revue Esprit en 2011 (ici et en pdf ici).
Les acteurs privés de la ville : épisode 3
Signe d’une mutation profonde des modes de production et de gestion de la ville, en France, le jeu des acteurs de la fabrique urbaine est devenu de plus en plus ouvert. Premier épisode : depuis les années 2000, et même avant, les « acteurs privés de la ville » étaient surtout des promoteurs et investisseurs immobiliers, des groupes de BTP ou encore des entreprises services urbains. Il y a six ans, a commencé le deuxième épisode : avec la montée en puissance des questions énergétiques et numériques, de nouveaux entrants, comme Siemens ou IBM ou Cisco, sont rentrés dans la fabrique urbaine et se sont affirmés comme des acteurs de la ville à part entière. Mais il s’agissait encore de grands groupes, en nombre limité, qui « urbanisaient » leurs stratégies en se positionnant comme un partenaire incontournable des villes. Ce à quoi on assiste désormais – c’est le troisième épisode - c’est à l’émergence de toute une série de nouveaux entrants, souvent des start-ups mais pas seulement, qui sont parfois positionnés sur un tout petit maillon de la chaîne de la fabrique urbaine, mais qui, demain, peuvent se positionner en amont ou en aval.
Deux exemples sont emblématiques de cette tendance. A Marseille, le projet d’Eiffage sur l’îlot Allar (58 000 mètres carrés de surfaces de plancher sur 2,4 hectares) mobilise des acteurs aussi divers que des grands groupes de l’énergie, des télécommunications ou de la construction (EDF, Orange Business Services, Lafarge), des associations environnementales (LPO, Humanité et Biodiversité…) et des PME et start-up innovantes, comme Zen Park, qui propose le partage de la place de stationnement, Echy, qui capte la lumière du soleil pour éclairer l’intérieur des bâtiments, Enodo, qui réalise des maquettes 3D, Polypop, qui valorise et dépollue les sols et valorise les déchets organiques avec des champignons, etc. Dans la capitale, l’« Appel à Projets Urbains Innovants Réinventer Paris », dont les lauréats ont été désignés début février, semble avoir répondu au souhait de la maire qui recherchait « des groupements originaux et non conventionnels qui réinventeront nos manières d’habiter, de travailler, d’échanger et de partager », et a assurément proposé une réponse stimulante au défi d’une ville plus partenariale. Pour chaque groupement, la liste des membres de l’équipe comprend souvent une vingtaine de membres, sinon plus, preuve de la diversité des acteurs qui la compose.
Cette évolution témoigne évidemment de la puissance des mutations provoquées par la révolution numérique, la contrainte financière, la crise environnementale et l’évolution des mentalités : à la fois une mutation profonde des usages, mais aussi une hybridation plus forte entre des secteurs, notamment entre l’immobilier, l’énergie, l’eau et les déchets, avec des innovations qui toutes « convergent vers la ville du futur ». Elle pose toutefois un véritable défi, qui est celui du mode d’organisation de l’ensemble de ces acteurs. Par exemple, dans Réinventer Paris, la ville a demandé des groupements d’opérateurs, et, de fait les mandataires de ces groupements sont très souvent des acteurs classiques, comme les promoteurs. Ainsi, on peut se demander si, paradoxalement, en voulant ouvrir le jeu de la fabrique urbaine, la ville ne le referme pas. De même, sur l’îlot Allar, à Marseille, la présentation de l’ « écosystème d’acteurs » ne doit pas faire oublier que l’ensemble des acteurs qui le composent sont pilotés par un mandataire, Eiffage, qui est seul contractant de l’aménageur, Euroméditerranée. Ce contrôle du projet par un opérateur mandataire unique issu la plupart du temps du rang des promoteurs-constructeurs classiques s’accompagne souvent d’un élargissement de l’échelle d’intervention de ces opérateurs, la taille de l’opération était bien souvent la condition pour faire jouer aux mieux les synergies entre les différentes composantes du projet. Signe de cette tendance : juste à côté de l’îlot Allar, à Marseille, le groupe Bouygues a gagné fin 2015 un projet de 250.000 m2 de surface de plancher sur 14 hectares (« Îlot XXL »). Cette question de la taille des lots doit être examinée avec attention. D’une certaine manière, on y retrouve amplifiés les débats qui avaient eu lieu sur les macro-lots. Avec des arguments pour (mutualisation, densité) et des réponses contre (risque isolats urbains, absence d’évolutivité et gestion contrainte) qui montrent assurément l’enjeu d’une réponse spécifique à chaque contexte.
Autrement dit, dans l’épisode 3, le véritable défi pour les acteurs publics est de maîtriser la fabrique de cette ville doublement coproduite, entre acteurs publics et privés, mais aussi entre acteurs privés entre eux. Et, peut-être les réponses peuvent-elles être trouvées dans des hybridations plus fortes entre l’ensemble des acteurs, ou des stratégies de maîtrise d’un chaînon clef. Sans doute aussi les acteurs publics devraient-ils aider à structurer des filières permettant le déploiement des innovations technologiques, comme par exemple le développement de l’impression 3D dans le bâtiment, source potentielle de réduction des coûts de construction et de réduction des délais, et donc potentielle réponse au défi du logement abordable… mais aussi susceptible de « disrupter » complètement les acteurs traditionnels de la fabrique urbaine. Ce serait alors – ce sera - le début de l’épisode 4.
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